Affichage des articles dont le libellé est Cartier-Bresson. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Cartier-Bresson. Afficher tous les articles

Note de lecture: "Je te vois" de Murièle Modély

Murièle Modély a publié quatre recueils en deux ans : un beau rythme, qui dit l’urgence de l’écriture chez cette poète dont je suis l’évolution depuis le début. Elle vient de faire paraître Je te vois aux éditions du Cygne.

Il y a toujours un fil narratif dans les recueils de Murièle Modély, et c’est le cas ici. Mais le minimalisme est de mise : un couple dans une chambre, c’est tout. Une femme et un homme, « je » et « tu ». Deux corps nus, qui « font l’amour » ou « baisent » (c’est selon) puis se séparent ; un regard qui se pose sur l’autre (« je te vois ») ou bien s’en éloigne ; une langue qui cherche à émerger, avec les mêmes difficultés et hésitations, avec les mêmes va-et-vient que le couple se formant et se déformant. Dans Je te vois, le regard est un sexe et le sexe un instrument d’écriture. Les seuls moyens d’espérer laisser le « chaos » dehors.



les spasmes
sont les flèches plantées dans le petit matin
de mon demi sommeil
qui hésite
pressent la chute
l’amour
disparu
à venir
je mets ton visage en plein cœur de la cible
mes yeux sont ouverts l’arc est entre mes mains
mon geste est sûr la pointe entre tes reins
je tire :
tout revient à sa place


Murièle Modély, Je te vois, éditions du Cygne, 2014


Photo Henri Cartier-Bresson

Vide-poche : Henri Cartier-Bresson

"C'est par les yeux que je comprends les choses",
dit Cartier-Bresson dans l'exposition qui lui est consacrée au Centre Pompidou.

Et nous aussi, à travers son regard, nous comprenons les choses. Nous voyons.

Juste une petite réserve sur cette grande rétrospective : ma photo préférée de lui n'y est pas... C'est celle-ci. Totalement fascinante. Non ?

Cartier-Bresson : Espagne, Alicante, 1933

"katharizo"

Le numéro de septembre 2012 de Verso, la jolie revue lyonnaise (numéro 150 !), réunit des poèmes publiés sous le thème « faire eau » – beau titre. Parmi ceux-ci, quatre sont à moi… Ils appartiennent à la même série « Paros » que les poèmes déjà publiés dans Friches et lisibles sur ce blog.
Voici le premier des quatre.


katharizo


tous les chats sont morts
quel est le mot
qui veut dire nettoyer
et comment dit-on
eau de javel
le mot tragédie
ne sert à rien

mais catharsis oui
du quotidien
à coups de serpillière
et de pitié aussi

sur la terrasse
les taches s’acharnent
la mort ne part pas

et moi qui n’ai aucune
passion pour l’immaculé
je m’acharne aussi
j’efface autant que je peux
les traces

Photo Cartier-Bresson (Sifnos, Grèce)


Un poème d'Antonio Machado: "He andado muchos caminos" (texte espagnol et traduction)

Je connais très peu, très mal, avouons-le, Antonio Machado ; mais les quelques poèmes de lui que je connais, ils m’accompagnent depuis très longtemps. Je les ai assimilés très intimement, comme une incantation, comme une formule parfaite et mystérieuse, comme une fable de La Fontaine qu’on apprend par cœur, à huit ans, sans comprendre tous les mots. En fait, comme une chanson : car je connais Antonio Machado à travers la mise en musique qu’en a faite Joan Manuel Serrat, chanteur-compositeur catalan, voix puissante*.

Rendons hommage aux cours d’espagnol : c’est au collège, grâce à mon professeur, que j’ai entendu pour la première fois le poème « La Saeta » dans la magnifique version de Joan Manuel Serrat. J’ai rapidement oublié le nom du chanteur aussi bien que celui du poète, mais il faut croire que l’expérience m’avait marquée car cinq ou six ans plus tard, à Madrid, traînant seule dans une librairie, j’ai réentendu la chanson, et j’ai été saisie au point d’aller demander au libraire quel était ce disque qu’il passait. Désormais, c’est l’un de mes disques fétiches.

Je donne ici non pas « La Saeta » mais un autre de mes poèmes/chansons préférés, « He andado muchos caminos », suivi de sa traduction.


*[Disque Dedicado a Antonio Machado, poeta, Zafiro/Novola, 1969]

 
He andado muchos caminos,
he abierto muchas veredas;
he navegado en cien mares,
y atracado en cien riberas.

En todas partes he visto
caravanas de tristeza,
soberbios y melancólicos
borrachos de sombra negra,

y pedantones al paño
que miran, callan, y piensan
que saben, porque no beben
el vino de las tabernas.

Mala gente que camina
y va apestando la tierra...

Y en todas partes he visto
gentes que danzan o juegan,
cuando pueden, y laboran
sus cuatro palmos de tierra.

Nunca, si llegan a un sitio,
preguntan a dónde llegan.
Cuando caminan, cabalgan
a lomos de mula vieja,

y no conocen la prisa
ni aun en los días de fiesta.
Donde hay vino, beben vino;
donde no hay vino, agua fresca.

Son buenas gentes que viven,
laboran, pasan y sueñan,
y en un día como tantos,
descansan bajo la tierra.


Extrait de Solitudes,
traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé (Poésie Gallimard)

II

J’ai connu beaucoup de chemins,
j’ai tracé beaucoup de sentiers,
navigué sur cent océans
et accosté à cent rivages.

Partout j’ai vu
des caravanes de tristesse,
de fiers et mélancoliques
ivrognes à l’ombre noire

et des cuistres, dans les coulisses,
qui regardent, se taisent et se croient
savants, car ils ne boivent pas
le vin des tavernes.

Sale engeance qui va cheminant
et empeste la terre…

Et partout j’ai vu
des gens qui dansent ou qui jouent,
quand ils le peuvent, et qui labourent
leurs quatre empans de terre.

Arrivent-ils quelque part,
jamais ils ne demandent où ils sont.
Quand ils vont cheminant, ils vont
sur le dos d’une vieille mule ;

ils ne connaissent point la hâte,
pas même quand c’est jour de fête.
S’il y a du vin, ils en boivent,
sinon ils boivent de l’eau fraîche.

Ce sont de braves gens qui vivent,
qui travaillent, passent et rêvent,
et qui un jour comme tant d’autres
reposent sous la terre.


 Photo Henri Cartier-Bresson