Emmanuel Merle : le recueil Schiste


Emmanuel Merle, dont j’ai déjà parlé ici à l’occasion de son excellent Ici en exil, vient de faire paraître un nouveau bref recueil aux éditions Alidades, Schiste.
Il continue son chemin – ou plutôt il s’arrête en chemin, fasciné – sur les pierres et dans la neige de l’enfance. C’est du schiste, ça brille, et pourtant il suffit d’un rien et « la pierre en est ternie, / qui buvait la lumière ». Pas facile de garder son éclat à la pierre, non plus qu’à la vie. Mais nul désespoir. Les poèmes d’Emmanuel Merle sont comme des bouts de montagne : « des effrois, des nœuds de pierre (…) une promesse / et son écharde ». Denses et endurants.


Ce chemin, entre la maison d’enfance
et la route, c’est la solitude apprise.

La lumière crépite sur le mica,
un miroitement,
mais la menace est là : un fil
à haute tension bourdonne,
un insecte rabote l’air.

C’est un enfant, tête baissée,
avec un bâton et des pierres,
comme s’il y avait déjà de l’amour
inemployable, même empoisonné.

Je connais bien Perceval figé,
l’arrêt du rêve devant
ce qui aurait pu être.
On ne ramasse pas le sang,
le schiste détaché du sol déçoit.

Schiste, éditions Alidades, 2013


© Gérard Traquandi

Deux petits poèmes de Guy Chaty


Guy Chaty est un poète délicieux et un comédien éprouvé. Il faut le voir et l’entendre lire ses petits textes subtilement orfévrés pour en apprécier pleinement la saveur : humour, légèreté, esprit d’enfance, profondeur cachée.
Bon, on peut aussi se les lire tout seul à voix basse et ça fait très bien l’affaire. Ou bien les lire à voix haute à un enfant si on en a un sous la main : son dernier recueil en particulier, A cheval sur la lune, entrera dans les jeunes oreilles comme dans du beurre. En plus, dans A cheval sur la lune, on aura en prime les dessins très réussis de Raphaël Lerays.
Raphaël Lerays, c’est tout pareil que Guy Chaty : humour, légèreté, esprit d’enfance, profondeur cachée. Mais avec des taches de couleurs.


Vélo-voilé

La roue de mon vélo
est voilée
Mon papa va
la réparer

Le soleil d’hiver
est voilé
Le printemps va
le réparer



Poussière

Quand le soleil a une poussière
dans l’œil
il pleure
quelques rayons tout noirs
qui donnent sur la terre
les méchancetés du soir


A cheval sur la lune, Editions Soc et Foc, 2012


Une page du recueil illustrée par Raphaël Lerays

Le recueil "Le paysage est sans légende", de James Sacré


Ce n’est pas une entreprise facile que d’écrire des poèmes sur ou à partir d’images. Le risque est de ne pas pouvoir s’éloigner de l’image (et pourquoi s’en éloigner quand on y est bien ?), de décrire pour décrire – décrire ce qui est représenté, ou comment c’est représenté, sans trouver à aller plus loin que ça. A ce jeu-là, le texte peut difficilement gagner face à la force de fascination de l’image.

James Sacré, dans Le paysage est sans légende, réussit à s’en tirer. Il s’en tire même très bien. Il s’en tire en ne se laissant pas impressionner ; en mettant mots et dessin dans le même panier. Texte et image, même tentative, même échec (« Ou si tout le contraire ? »).

Ce n’est pas parce qu’on se trouve bien dans un dessin – et comme on est bien en effet dans les superbes dessins de Guy Calamusa, qui accompagnent les poèmes de James Sacré – qu’on doit en être dupe pour autant, pas plus qu’on ne se laisse duper par les mots :

On nomme des endroits de ce monde
L’oued Bouskoura, la rivière Vendée
Un nom de village ou celui de plusieurs choses
Une échelle un puits des noms des mots
Comme pour mieux se tenir au monde
Avec un dessin c’est pas mieux, tout s’éboule
Et pas grand-chose
Qui reste dans les mains. Quand même
On est bien.

C'est vrai, on est bien ! On n’y arrive pas vraiment, à mieux se tenir au monde, mais quand on voit sur l’image « Quelque chose / Comme des cailloux de granit noir », sans trop savoir ce que c’est, on prend : « (Tu ramasses) ». Et on fait pareil quand on voit dans le poème des mots comme « Cougou » ou « Agloo ». Souvent, ça ne mène « nulle part ». Pas grave. On aura fait, on aura regardé, on aura lu, somme toute on aura vécu, comme le « petit personnage » du dernier poème :


Quelques traits d’encre qui sont
Gestes d’avoir vécu en ce qui n’est plus là
Et solitude d’un graffiti, comme un essai raté
D’affirmer de la vie.

Le paysage est sans légende, dessins de Guy Calamusa,
Al Manar - Editions Alain Gorius, 2012

Dessin de Guy Calamusa