Ces temps-ci, à Paris, Maguy Marin présente des spectacles
au Théâtre de la Ville (temple de la danse contemporaine) et Bertrand Lavier a
l’honneur d’une rétrospective au centre Pompidou (temple de l’art
contemporain). Les deux temples étant géographiquement voisins, on peut donc
enchaîner l’un sur l’autre, ce que
j’ai fait le week-end dernier (un vrai week-end de prof de lettres – passons).
C’était en ce qui me concernait un premier contact avec deux artistes français
que je ne connaissais pas. Le dirai-je d’emblée, je ne suis pas sûre de
souhaiter un deuxième contact.
Dans les deux cas, mon impression a été d’assister à une
expérience artistique non pas mauvaise, mais plutôt ratée – ratée par excès de
prétention, de creux, de concept.
L’expo Bertrand Lavier par exemple : on entre dans une
salle. On voit des objets exposés. Objets pas beaux (évidemment), pas émouvants
(on s’en serait doutée), pas même surprenants non plus (les ready-made, on connaît déjà). Mais ce n’est pas grave, on est bien disposée, on ne veut pas
renoncer tout de suite comme la première réac venue, on veut croire qu’il y a
là quelque chose d’intéressant.
Et de fait ces objets ont un côté intriguant, énigmatique.
On ne les comprend pas. On se doute qu’il y a quelque chose à comprendre qui
nous échappe – c’est intéressant, ça. On imagine qu’il doit y avoir un
« message » à trouver.
On ne passe pas trop de temps à chercher ce fameux message : puisqu’il y a une explication au mur, on va plutôt lire ça. On
lit donc. Effectivement, il y a bien un « message » dans ces objets.
Le texte au mur nous dit lequel. Le texte explicatif explique, assez
brillamment d’ailleurs, et on comprend tout. Le texte fait dix ou quinze
lignes. Une fois lues ces dix ou quinze lignes, il n’y a plus rien à lire, plus
rien à regarder surtout. Puisqu’on a tout compris et qu’à part se faire
comprendre, ces objets ne proposent rien. On passe à la salle suivante. Un
nouveau texte nous explique brillamment le nouveau message derrière les
nouveaux objets exposés. Objets pas beaux, pas émouvants, pas même surprenants.
Objets, une fois compris leur « message », une fois gratté leur mince
vernis d’énigme, d’un ennui total.
On sort de l’expo en ayant déjà tout oublié – si ce n’est,
peut-être, le rouge vif de l’Alfa Roméo accidentée trônant dans une salle, dont
le message est… quel est le message, déjà, pourtant dans le petit texte ça
avait l’air intelligent, tant pis, tout oublié à part le rouge vif.
Le spectacle de danse de Maguy Marin, c’était exactement la
même chose, transposée sur scène. Pas de danse (ça risquerait d’être beau,
émouvant, surprenant), mais des messages, des idées (éculées, faut-il le
préciser). Quelques rares minutes où l’attention est soudain éveillée, où le
plaisir surgit soudain, parce que sur scène, soudain, il y a de la danse – de
l’émotion visuelle. Le reste du temps, un ennui total. Et un gros sentiment de
talents gâchés (pour les artistes) et de temps perdu, sans parler de
l’argent (pour la spectatrice).
Un artiste visuel travaille la matière et les couleurs, une
chorégraphe travaille les corps en mouvement. Pas les idées. Pas les concepts.
Pourquoi cela semble-t-il si difficile à admettre, pour l’art contemporain
dominant (institutionnalisé, c'est-à-dire académique) ? En quoi est-ce si
moralement ou philosophiquement inacceptable ?
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Bertrand Lavier, Giuletta |