Trois poèmes de Ungaretti (texte italien et traduction de Jean Lescure)

Ma découverte de la péninsule poétique italienne s’est d’abord faite par les poèmes de Giuseppe Ungaretti. Notamment par ceux de son premier recueil, L’allégresse, écrit en grande partie pendant la première guerre mondiale, et qui contient des moments bouleversants. C’est toujours celui de ses recueils que je préfère. Peut-être que, si j’étais parfaitement honnête, je reconnaîtrais que ce que j’aime chez Ungaretti, c’est ce qui me rappelle Apollinaire… Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi – l’Italie, en somme.


Ce soir


Balustrade de brise
pour appuyer ce soir
ma mélancolie

Versa, 22 mai 1916

Stasera

Balaustrata di brezza
per appoggiare stasera
la mia malinconia

Versa il 22 maggio1916


Allégresse des naufrages


Et tout de suite il reprend
le voyage
comme
après le naufrage
un loup de mer
survivant

Versa, 14 février 1917

Allegria di naufragi

E subito riprende
il viaggio
come
dopo il naufragio
un superstite
lupo di mare

Versa il 14 febbraio 1917


Soldats


On est là comme
sur les arbres
les feuilles
d’automne

Bois de Courton, juillet 1918

Soldati

Si sta come
d'autunno
sugli alberi
le foglie

Bosco di Courton luglio 1918

Ungaretti, Vie d'un homme, traductions de Jean Lescure, Poésie Gallimard.


Modigliani, Zouave


Vide-poche : Patrice Maltaverne et Claude Vercey

Deux réflexions très stimulantes tirées du dernier numéro de Décharge (n° 155, sept. 2012) :

Sur le problème de la hiérarchisation en poésie :

« Les auteurs excellents se comptent sur les doigts de la main, la différence entre une écriture d’exception et une écriture simplement réussie me semblant tenir à des détails… qui font la différence. Ainsi et en retour, je me sens davantage lucide sur la valeur de ce que j’écris, me satisfaisant d’appartenir à un flux d’écritures (comme noyé dans le peloton) qui reflète une époque et une génération, ce qui me paraît bien plus essentiel que la promotion de quelques ‘stars’ sur des critères en partie douteux, alors que nous ne parlons en définitive que d’un réseau de spécialistes, ultra minoritaires au sein de la population ! »

Sur la situation supposément « déplorable » de la poésie aujourd’hui et le rôle du poète :

« Il ne revient pas aux poètes, ou à ceux qui se considèrent comme tels, de décider d’une mobilisation générale pour une hypothétique et prochaine reconquête. (…) Pour l’heure, ce qui revient au poète d’aujourd’hui, comme d’hier, c’est de préserver et de transmettre. Comme on préserve le feu, comme on devra le faire pour l’air ou pour l’eau. Je connais des taches moins nobles. »
Rembrandt, Autoportrait