John Taylor : le recueil "Le Dernier cerisier"


Quel est-il, cet arbre qui donne son titre à la fois au premier poème et au recueil ? Ce cerisier qui n’existe qu’imaginé, ou souvenu — auquel on n’a jamais grimpé, dont on n’a jamais goûté les cerises ? Où se trouve-t-il ? « A l’intérieur de toi », « loin », « derrière toi » : dans une enfance brumeuse (le « premier » et « l’unique centre ») ; dans un pays natal désormais « alourdi de noms ».

Le dernier cerisier se dresse sur la page du poème, « dans l’écart fait par les mots ». Il se contemple aussi dans les très belles aquarelles de Caroline François-Rubino, véritables poèmes visuels en écho aux poèmes verbaux.

Le dernier cerisier, c’est peut-être le rappel de ce qu’on est devenu « quelqu'un d’autre », le témoin qu’on a été enfant et qu’on ne l’est plus. C’est une lourdeur enracinée, mais aussi un support auquel appuyer notre échelle : une aide pour essayer de grimper.

A travers l’image de cet arbre lourd de « petites promesses rouges », de cet arbre de vie – allégorie dont le poète semble donner ici sa version personnelle – John Taylor mène ainsi une méditation sur le temps, sur la mémoire et sur la durée. Les deux autres poèmes qui suivent ce « Dernier cerisier » poursuivent cette voie. « A jamais » évoque le lointain de l’enfance comme un hiver de neige. « Mais il ne faisait pas encore nuit » dit le passage du jour à la nuit, dans l’entre-deux du devenir. Là aussi, de la neige, et des arbres – porteurs d’un « sombre et soudain réconfort », rappels de « la lumière plus brillante / manquante ».

L’ensemble donne à entendre et à voir un monde des transitions, de l’entre-deux, du « flou ». Un monde des traductions, a-t-on envie de dire en référence à l’activité de traducteur du poète John Taylor (Américain francophone), mais aussi en référence au fait que les poèmes présentés ici sont avant tout des traductions : leur version originale en anglais est placée à la fin du livre, permettant ainsi la confrontation entre les deux langues.

Mots français, mots anglais, couleurs des aquarelles : beaucoup de choses get lost in translation, sans doute – « sauf la matière la plus essentielle ». C’est celle-ci que ce livre cherche à saisir.


 

Laisse le cerisier s’effacer
laisse la terre s’effacer

sur laquelle tu as marché
alourdi de noms
de pelouses de jardins secrets
que tu as laissés derrière toi
et d’un cerisier

tu as été alourdi
mais l’échelle sous ton bras
ne pesait rien


let the cherry tree fade
let the earth fade

over which you walked
weighed down with names
with secret gardens backyards
you left behind
and a cherry tree

you were weighed down
but the ladder under your arm
was weightless
 
 

John Taylor, Le Dernier cerisier, Voix d’encre, 2019
Edition bilingue, traduction de Françoise Daviet-Taylor
Aquarelles de Caroline François-Rubino


Aquarelle © Caroline François-Rubino

Valérie Canat de Chizy : le recueil "Caché dévoilé"


Valérie Canat de Chizy est comme nous toutes (nous toutes, femmes et hommes). Elle fait semblant. Elle est « différente » – « au fond pas si différente » – « mal accomodée ». Parfois fatiguée, lassée, « à la longue ». Mais quand elle écrit, elle ne fait pas semblant : elle se débrouille avec ce qu’elle a, sensations fugaces, bouts de réalité, souvenirs bons ou mauvais. Elle se débrouille avec elle-même, avec cet être de papier à la fois caché et dévoilé dans le texte. A la lecture de ce beau recueil, les émotions surgissent petit à petit, à la fois contenues et libérées.

 

La maison est en bois
la neige tombe

la maison
est celle de ma mère

les poutres ont pâli

la maison est une cabane
dans laquelle je mets des couvertures

une hutte couverte de peaux
où je fais d’étranges rêves

Valérie Canat de Chizy, Caché dévoilé, Jacques André éditeur, 2019


© Guy Calamusa