Guillaume Decourt : Les Heures grecques


Après Constantin Cavafy, encore un peu de Grèce, encore un peu de jouissance des corps sous le soleil. Guillaume Decourt dans Les Heures grecques raconte en dizains ses amours avec Vassiliki et ses relations avec le « pays de sa femme », poursuivant ainsi son autobiographie (son autofiction ?) poétique après La Termitière ou Diplomatiques. Le recueil est dédicacé au poète Frédéric Musso, mais je ne peux m'empêcher de trouver pour ma part (et même si Guillaume Decourt lui-même n'est pas forcément d'accord) qu'il a surtout un petit air de famille avec la poésie de William Cliff, ce qui n'est pas un mince compliment.

Ici la jouissance des corps est certes moins triste que chez Cavafy (et moins honteuse !), mais non dénuée d’un certain sentiment de culpabilité : l’idée d’un ratage ou d’une illégitimité semble toujours hanter d’une façon ou d’une autre les poèmes de Decourt, alors même qu’ils chantent le désir et le plaisir. Le bonheur boite, comme son amour, comme ses décasyllabes mal découpés (rebelles au rythme 4-6 ou à tout autre, cassant en deux des verbes à la rime…). C’est ce qui fait le charme irrésistible de cette poésie, mélange de volupté et d’autodérision : un enchantement qui se dit sur le mode du regret. — Ce qui n’est pas raté, assurément, ce sont les poèmes de ce nouveau recueil.


Ressources

Je paresse également beaucoup trop
Dans cette Grèce où je n’existe pas
Où j’aime et je vis presque malgré moi
A la taverne pendant le repas
Je ne m’exprime qu’avec peu de mots
Et souris pour avoir l’air d’être là
Je suis désormais sans ressources et
Je n’écris que peu  – j’attends que ça vienne –
« Soleil » « Vassiliki » ai-je noté
Dans mon carnet tâché de mer Ionienne



Guillaume Decourt, Les Heures grecques, Lanskine, 2015
 

Nicolas de Stael, Paysage méditerranéen

Constantin Cavafy, Jours anciens

Dans ce recueil, Cavafy, considéré comme le premier poète grec de la modernité, chante ses amours avec des garçons : amour « honteux », plaisir « interdit », « anormal », « condamné », dans des lieux « louches » et « vulgaires ». Surtout, il dit le temps qui fait tout disparaître, amours et chambres minables. Et la poésie qui donne le sens dernier.


Accoudé et couché sur leurs lits

Dans la maison de plaisirs
je ne demeure pas dans la salle où l'on célèbre
banalement les amours avouables.

Je vais dans les chambres secrètes
m'accouder et coucher sur leurs lits.

Je vais dans les chambres secrètes
qu'on ne peut même nommer sans honte.
Mais moi je n'ai pas honte : quelle sorte
de poète, d'artiste, serai-je !
Plutôt l'ascèse ! Cela convient mieux,
beaucoup mieux, à ma poésie,
que de me plaire à la salle commune.

Constantin Cavafy, Jours anciens, traduit du grec par Bruno Roy,
Editions Fata Morgana, 2015


Michel-Ange, Schiavo che si ridesta

Parution : Murièle Modély & compagnie



Attention, que du bon ! Murièle Modély & compagnie, ouvrage collectif, vient de paraître ce mois d'avril 2016, édité par Walter Ruhlmann et co-édité par Murièle Modély.

C’est le dernier volume des X & compagnie, série pilotée par Walter Ruhlmann depuis 2012 avec Amber Decker & Friends.

Avec des textes de Murièle Modély bien sûr, mais aussi de moi-même Murièle Camac, de Anna Jouy, Lidia Badal, Marlène Tissot, Al Denton, Jean-Marc-Flahaut, Perrine Le Querrec, Céline Renoux. Que du bon on vous dit.

Photographie de couverture de Bruno Legeai. Illustrations Maxime Dujardin.

© mgv2publishing ; contributeurs, avril 2016
86 pages — 7€ plus frais de port
Disponible ici.



David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval


Ce titre extraordinaire est emprunté à Ossip Mandelstam, et la deuxième épigraphe du livre est tiré du Pilate de Jean Grosjean. C’est dire que David Bosc place son ouvrage sous le signe du poème beaucoup plus que du roman. Poème narratif, histoire d’une folie dérisoire et magnifique, celle de Sonia A. — comme celles, avant elle et très différentes, du Nerval d’Aurélia ou du Rimbaud d’Une Saison en enfer.
La Sonia de David Bosc a réellement existé mais elle fait aussi penser par exemple à Francesca Woodman, à Alejandra Pizarnik ou à Sylvia Plath : une très jeune femme, artiste, diariste, folle. Vie, poème et folie se mélangent. A la fin, c’est le poème qui gagne.

Extraits :

« Quand on apprend une langue étrangère et qu’on commence à la comprendre dans la rue, on s’étonne, on s’offusque de ce que les gens, ayant la maîtrise d’un si bel instrument, ne disent point des choses plus singulières. Mais dans toutes les langues, hélas, a rose is a rose is a rose.
(…)

Bulles infimes de solitude, les vagabons, les amoureux, les lecteurs, font dans la soupe collective un ferment qui nous sauve. Et si la plupart des bulles échouent à remonter à la surface, qu’importe : ça travaille, ça lève.
(…)

      Dis, c’est un miroir ou un trou de serrure ?
      Hein ?
      Dans ton bouquin, tu regardes vivre les autres ou tu ne vois partout que toi ? »

David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, Verdier, 2015


Francesca Woodman, Untitled