Ryoko Sekiguchi, "Nagori"


Ce n’est pas si fréquent de trouver nourriture et poésie mêlées de façon réussie – de trouver une écriture poétique qui sache chanter la simple joie de manger. Bien sûr, il y a Rimbaud mettant les pieds sous la table « Au Cabaret Vert » : indépassable. Plus inattendu pour moi, il y a eu aussi Hemingway dans cette étonnante prose poétique qu’est A Moveable Feast (Paris est une fête) : le narrateur fait des repas très ordinaires, boit beaucoup, nous le dit avec des phrases très simples, et miraculeusement quelque chose se passe. On salive, on n’a jamais rien mangé d’aussi bon, on n’a jamais descendu de bouteilles avec autant de plaisir.

Avec Ryoko Sekiguchi, l’expérience est bien sûr très différente, mais le plaisir est comparable : plaisir de lire le plaisir de manger. L’autrice évite avec grâce l’écueil du « livre de cuisine » (tentation facile) ; sa réussite est de nous faire éprouver à quel point manger est notre façon la plus intime d’entrer en contact avec les mondes qui nous entourent, avec les êtres. Elle développe par la même occasion toute une réflexion sur l’un des concepts centraux de la pensée japonaise, la saison : plats de saison, poésie de saison, vie et mort de saison.



« Nagori évoque à la fois une nostalgie de notre part, pour une chose qui nous quitte ou que nous quittons, et la notion de quelque chose qui décale légèrement la saison, comme si cette chose même (par exemple des fleurs, la neige) ne quittait qu'à regret ce monde, et la saison qui est la sienne. C'est à la fois la chose et la personne qui la contemple qui sont dans le regret du départ.
L’étymologie du mot se rapporte à nami-nokori, “reste des vagues”, qui désigne l’empreinte laissée par les vagues après qu’elles se sont retirées de la plage. Cela comprend à la fois la trace des vagues, ces sillons immatériels dessinés par les vagues sur le sable, et les algues, coquillages, morceaux de bois et galets abandonnés sur leur passage. Il n’y a ni raison ni logique à cette accumulation en dépôt, mais une fois qu’elle est là, elle s’y établit pour un temps, éphémère. »

Ryoko Sekiguchi, Nagori, P.O.L., 2018


Estampe de Hagiwara Hideo : "Nagori no hana" ("Restes de fleurs")

Work in progress : "Frontier"


Je pourrais dire aussi "travail en cours" mais c'est moins chic. Ce qui est très chic, c'est que la revue en ligne Remue.net publie un extrait dudit travail in progress, une séquence. Cette séquence raconte une histoire (presque). Ça se passe dans les forêts sauvages d'Amérique du Nord à l'époque de la conquête de l'ouest, de la Frontier. Il y a de l'action et du suspense et je vois bien Leo di Caprio dans le rôle principal quand Hollywood achètera les droits. Sinon il y a aussi de la poésie, bien sûr, d'ailleurs c'est l'univers d'Emily Dickinson qui m'a entre autres inspirée. A lire ici.


Ansel Adams, Aspens