Une traduction : deux poèmes de Robert Graves


Robert Graves est un étrange personnage, un excentrique comme seule l’indispensable Grande-Bretagne semble capable d’en fournir. Tour à tour soldat dévoué, traumatisé de la Grande Guerre, adorateur de la Grande Déesse, séducteur soumis, exilé volontaire sur l’île de Majorque, centre d’une troupe d’admirateurs toujours renouvelée, écrivain prolixe jamais angoissé devant la page blanche ; et aussi père de huit enfants.

Ce n’est pas un grand poète, sans doute, mais c’est un bon poète.

Les plus accessibles de ses textes sont ses poèmes d’amour, délicats et jamais mièvres. En voici deux; pour le premier, plus court, j'ai essayé dans la mesure du possible de reproduire le vers rimé et rythmé.




Aimez sans espoir

Aimez sans espoir, comme le jeune oiseleur
Enleva son chapeau pour la fille du seigneur :
Ainsi s’échappèrent les alouettes prisonnières,
Elles chantaient autour d’elle, qui cheminait altière.


Love Without Hope

Love without hope, as when the young bird-catcher
Swept off his tall hat to the Squire's own daughter,
So let the imprisoned larks escape and fly,
Singing about her head, as she rode by.




Amour malade

Ô Amour, nourris-toi de pommes tant que tu le peux,
Sens le soleil, chemine vêtu d’atours royaux,
Sourire innocent sur la chaussée céleste,

Même si horrifié tu écoutes aussi le cri
Qui lugubre fuse dehors dans le noir,
La bête aveugle et muette, la furie paranoïaque :

Aie chaud, profite de la saison, relève la tête,
Si exquise au rythme de son sang corrompu,
Cette gloire tremblante n’est pas à mépriser.

Prends ton plaisir dans le temporaire,
Marche dans l’espace entre nuit et nuit – un chemin lumineux,
Qui a de la tombe l’étroitesse, mais non la paix.


Sick Love 

O Love, be fed with apples while you may,
And feel the sun and go in royal array,
A smiling innocent on the heavenly causeway,

Though in what listening horror for the cry 
That soars in outer blackness dismally, 
The dumb blind beast, the paranoiac fury:

Be warm, enjoy the season, lift your head, 
Exquisite in the pulse of tainted blood, 
That shivering glory not to be despised.

Take your delight in momentariness, 
Walk between dark and dark—a shining space 
With the grave’s narrowness, though not its peace.

Traduction © Murièle Camac


Tableau d'Edouard Munch

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