Sylvia Plath, "Coquelicots en juillet"


Je relis Sylvia Plath. Lire ces sept années de poèmes en suivant l’évolution du « je » poétique au cours du temps, c’est assister en direct à l’emprise tragique de la folie sur un esprit et surtout – chose extraordinaire – à la conversion de cette folie en cohérence poétique. Il y a vraiment une force, une détermination, un courage remarquables et, disons-le, du génie à garder ainsi le contrôle des mots alors même que l’esprit perd le contrôle de soi et de la réalité. Le réseau des images et des visions s’emballe, mais la locutrice maintient le cap envers et contre tout – transformer le « je » en un texte qui tienne. Jusqu’à l’extrême fin, jusqu’au moment où le « je », à bout de souffle, n’est plus viable – et devient dans le dernier poème « The woman ... Her dead body », une semaine avant le suicide.


Poppies In July

Little poppies, little hell flames,
Do you do no harm?

You flicker. I cannot touch you.
I put my hands among the flames. Nothing burns

And it exhausts me to watch you
Flickering like that, wrinkly and clear red, like the skin of a mouth.

A mouth just bloodied.
Little bloody skirts!

There are fumes I cannot touch.
Where are your opiates, your nauseous capsules?

If I could bleed, or sleep!
If my mouth could marry a hurt like that!

Or your liquors seep to me, in this glass capsule,
Dulling and stilling.

But colorless. Colorless.



Coquelicots en juillet

Petits coquelicots, petites flammes d’enfer,
Vous ne faites pas mal?

Vous tremblez. Je ne sais pas vous toucher.
Je mets les mains dans le flammes. Rien ne brûle.

Et cela m’épuise de vous regarder
Trembler comme ça, rouge vif et froissés comme une bouche.

Une bouche que l’on vient d’ensanglanter.
Oh petites jupes sanglantes !

Il y a des vapeurs que je ne peux toucher.
Où est votre opium, où sont vos capsules écœurantes ?

Si je pouvais saigner, ou dormir ! —
Si ma bouche pouvait épouser une blessure pareille !

Ou vos sucs distiller pour moi, dans cette capsule de verre,
Une stupeur, un apaisement.

Mais pas de couleur. Pas de couleur.

Traduction Valérie Rouzeau (dans Ariel, Gallimard)


Louise Bourgeois, Fleurs

3 commentaires:

  1. m.b.ruel@free.fr1 juillet 2016 à 19:17

    A chaque relecture le choc.
    Le rouge et le blanc s'opposent en pôles extrêmes, paradoxe obsédant. Rarement, on aura su si bien dire la douleur d'exister. Merci de ce partage, Murièle.
    M.B.RUEL

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  2. Une sensibilité à fleur de peau ;des textes magnifiques et un beau travail de traduction pour ne pas déflorer l'original.
    Sylvia PLATH est une poétesse trop ignorée en France que j'admire énormément Beaucoup d'émotions à chaque (re)lecture, preuve de son talent
    Merci donc de l'avoir mise en avant ici et maintenant

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  3. Elle est incontestablement une des grandes voix du XXe siècle poétique.

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