Bon, d’accord, c’est du
copinage, parce que Patrice Maltaverne est l’éditeur de mon dernier recueil au
Citron Gare (et aussi l’un de mes tout premiers soutiens dans l’univers
impitoyable de la poésie). Mais ce n’est pas que ça. C’est aussi qu’un recueil
étonnant est paru récemment aux Z4 Editions, et que ce recueil est signé
Patrice Maltaverne. Il s’intitule Des Ailes,
suivi de Nocturne des statues.
Le premier titre, Des Ailes, est celui qui tient le plus à
cœur à l’auteur (m’a-t-il confié), et c’est aussi celui qui s’impose le plus à
la lectrice. Le texte est dense, tendu, pas facile. Un long déroulé d’une
soixantaine de pages aux vers étirés, sans ponctuation, sans sauts de lignes,
d’un seul souffle. Mais cela vaut la peine de s’y lancer.
Une femme y passe, y
sourit, y pleure, silhouette difficilement reconnaissable mais entêtante. Meurt,
se détruit. On comprend qu’il s’agit de cinéma, de films, d’images. On comprend
qu’il s’agit d’amour. L’ancienne fascination adolescente pour une actrice inaccessible
est devenue poème pour un fantôme qui hante le cerveau (« je voudrais que
les plans fixes peu à peu s’effritent / mais ils continuent de nous hanter en
notre forteresse égoïste / comme s’ils murmuraient tu as le temps de lui parler
/ je ne sais même pas si je dois te tutoyer »).
La 4e de
couverture nous informe du nom de l’actrice : Dominique Laffin. C’est
important, parce que cela ancre le texte dans le réel, et parce qu’à partir de
là le texte peut plus sûrement quitter le réel. Le poète se fait son film. Il
se fait son texte. On le suit. On se perd parfois, pour le bonheur et la
surprise de se retrouver ailleurs, un peu plus loin : « on dirait une
seconde vie traversée au pays des morts / ils t’ont conduite là où tu voulais
aller te montrer / mais ce n’était pas le bon rêve ».
Le deuxième recueil, Nocturne des statues, constitue une
sorte de « chantier » plongé dans une atmosphère nocturne, comme le
titre l’indique. Cela tient de l’exercice poétique à contraintes : chaque
page contient deux quatrains et un quintil, avec un système de reprises à la
rime à chaque fois identique (entre le premier et le dernier vers, et entre les
deux premiers du premier quatrain et les deux derniers du deuxième quatrain). Ici
aussi il est question d’images dans le noir : lumières « artificielles »,
« tableaux », « décor », « objets », « scène »,
« cinéma », et les « statues de marbre » du titre, tout
cela pris « dans un périple imaginaire » au milieu d’une circulation
folle où des automobiles patinent. « Elles se succèdent les unes aux
autres émoussant / Toute perception du futur comme le passé collant / Il est
possible de les ajouter à l’équation de ce monde ».
un jour elle se dit
qu’elle va s’asseoir en chemin
qu’elle ne va plus bouger
d’un pouce pour se demander
si les autres
s’arrêteront mais tel un chaperon au feu
rouge elle peut perdre
son sang pendant que les conducteurs
ne s’arrêtent pas de
rouler ça devient grave cette histoire
elle a fait connaissance
avec le caniveau peut-être y a-t-il
une flaque d’eau qui la
saluera ce sont des pleurs
ce sont des fleurs de
parapluies rendus sourds et dingues
une mère qui est de
nouveau devenue fille à force
de se planter de moments
ou de paumer ses rendez-vous
j’ai envie de l’attendre
en fumant au bord d’une autoroute
Patrice Maltaverne, Des Ailes
suivi de Nocturne des statues, Z4 Editions,
2019
L'actrice Dominique Laffin |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire