Lecture: Marie de Quatrebarbes, "La vie moins une minute"


Marie de Quatrebarbes a un avantage considérable sur nombre de poètes : ce nom extravagant. Comment ne pas avoir envie de lire quelqu'un qui s’appelle ainsi ? J’ai donc lu La vie moins une minute, son dernier recueil.

Est-ce l’influence de ce nom excentrique, est-ce autre chose (peu nous chaut la raison), la poésie de Marie de Quatrebarbes est de celles qui obéissent à une logique singulière, dont les principes ne nous sont pas donnés. Dit plus vulgairement, elle est de celles qu’on ne comprend pas quand on les lit (voir ci-dessous Albane Prouvost).

On comprend cependant qu’il existe bel et bien une forme de logique – non pas celle du rêve, comme cela semblait le cas chez Albane Prouvost, non pas celle du hasard comme chez Philippe Jaffeux ; mais plutôt celle des collages, des associations de mots, par exemple par les sons, homonymies ou paronymies, ou par les expressions toutes faites. Ça parle tout seul, en quelque sorte : la langue semble s’organiser d’elle-même en discours. En ce sens, on serait un peu du côté de Valère Novarina, même si elle ne remplace pas un mot par un autre. La confusion touche en particulier les pronoms sujets – qui parle, qui agit ? ça change tout le temps.

Il n’y a donc pas de sens immédiat, mais il y a du parlé (la langue du recueil manifeste une oralité marquée). Et ce parlé va de pair avec du corporel. Plus que du sens, il y a en quelque sorte du sensuel – de l’amour, thème qui parcourt tout le recueil ; de l’enfance. L’essentiel, pourrait-on dire. Alors, au détour d’une page, l’émotion, la vie surgissent et prennent au dépourvu.



Dingo.


Je commençai par les hallucinations olfactives
avec ce bruit de pêche

Donnez-moi un pull, il fait froid
pas l’eau du persil s’il vous plaît
ni le rouleau à pâtisserie
ni le fer de l’enclume que j’ai appris à aimer
maintenant nous sommes prêts
à accepter l’amour

La philosophie à coup de marteau, c’était déjà ça
devenir autre chose qu’un petit garçon
les ressources du corps s’adaptent à ma taille
le rejailli de l’eau

Moi, petite fille, mon enfant, ma loi
puis je lèche des pages qui ne parlent que de toi

M’avez-vous vu passer la nuit ici et tomber par hasard ?


Marie de Quatrebarbes, La vie moins une minute, Lanskine, 2014


Sally Mann, Immediate Family

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