Luce Guilbaud : "Mère ou l’autre"


L’adoption n’est pas un sujet fréquent en poésie, surtout quand le point de vue est celui de la mère adoptive. Mais dès le premier poème de ce recueil de Luce Guilbaud, on comprend que c’est de cela qu’il s’agit : adopter, donner un nom, donner une place, donner de l’amour. Et surtout trouver soi-même sa place, au-delà de l’attente, du manque, de l’inquiétude, de la douleur et du désir. Mettre au monde sans avoir mis au monde. Mettre en poèmes ce qui ne se dit pas (« que dit-on à un enfant que l’on n’a jamais vu et qui est votre enfant ? »).



les mères ont de grandes marées
avec vagues sournoises consignées par-dessous
            mère absente sur les sables mouvants
            mère présente sur la jetée
il est seul pour le voyage entre les mères
c’est le parfait de l’imparfait
avec les mots poissons de roches
et algues autour du cou
qui pourraient l’étrangler
            grandes marées secousses du temps
            ravaudeur de balises
            (quand les digues s’écroulent dans la mer
            emportent meubles et photos de famille)
                        on reconstruit l’avenir avec coquilles
                        et cornes de brumes
on retrouve dans la boue
le corps des femmes noyées
parmi les fœtus acharnés
                        et l’année recommence.

Luce Guilbaud, Mère ou l’autre, Tarabuste, 2014

 
Sally Mann, Immediate family

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