Vide-poche : Nathalie Quintane


Ce n’est pas facile de citer Nathalie Quintane : entre l’ironie, la provocation, les citations et le « dérangement » (un des termes et thèmes de son dernier livre), ses phrases glissent et n’aiment pas se faire découper en morceaux. Tant pis, je vais le faire quand même. Voici donc un petit saucissonnage d’un passage d’Ultra-Proust, qui vient de paraître aux éditions La Fabrique. D’ailleurs je ne suis pas sûre d’être vraiment d’accord avec elle, je ne suis en général plus sûre de rien quand je la lis, si ce n’est que ça m’intéresse, sa façon d’être radicale, sa dérision qui ne s’excuse de rien ; et surtout son insistance à nous mettre le nez, à nous amis de la poésie (bonsoir), dans le politique.



« Je crois que la crainte, et les précautions qu’on prend encore, quant à l’engagement en littérature et en art (réécrit « langagement » dans les années 1970), tient en partie à la peur de faire quelque chose de bête – dogmatique, caricatural, etc. –, peur doublée de celle du ridicule […]. Les Français ont cette peur viscérale de la bêtise, et particulièrement les poètes, qui ont toujours besoin d’antidotes ou de grigri pour s’en prémunir – tel incipit fameux de Paul Valéry dans Monsieur Teste : « La bêtise n’est pas mon fort ». Intelligence de Valéry, intelligence de Mallarmé, intelligence de Perse, intelligence de Bonnefoy ou de Char, etc. […] S’il y a un clivage dans le champ poétique, ce n’est plus depuis longtemps en fonction des écoles ou des manifestes, mais peut-être entre ceux qui acceptent, assument, et travaillent cette part de bêtise française logée jusque dans la langue et les autres, qui continuent à se prémunir d’elle, à essayer de lui faire barrage. »

Nathalie Quintane, Ultra-Proust. Une lecture de Proust, Baudelaire et Nerval, La Fabrique, 2018


Annette Messager, Les interdictions en 2014

9 commentaires:

  1. C'est exact-ement en cela - ne pas être sûr. C'est l'accent sur le doute du langage-ment. C'est en cela où elle nous oriente et nous désoriente, j'eus cette même impressions la première fois entendue avant l'avoir lue. Cette perturbation de sens qui traverse égale-ment " l'intelligence " de Christian Prigent, je pense particulièrement à : A quoi bon encore des poètes? Pas sûre non plus que l'art d'Annette Messager soit l'allégorie pertinente. Raison d'intime-ment différent dans la lecture.

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    1. Ha, vous avez mis le doigt sur une difficulté que j'ai eue : quelle image associer à cet extrait de Nathalie Quintane ? Moi non plus je ne suis pas du tout sûre que cette installation de Messager soit la plus pertinente — mais y en a-t-il une qui le serait vraiment ? J'ai hésité avec une installation de Sophie Calle. Ça aurait peut-être mieux convenu. Pas sûr, pas sûr.

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    2. Sans doute,n'y-a-t'il aucune allégorie d'art conceptuel possible, Murièle. Sophie Calle fait de sa vie une oeuvre par l'étalement de soi et par d'uniques rendez-vous intellectuellement privés, d'une certaine manière, elle ouvre sa chambre bien fermée. En rapport poétique, elle balaie plutôt les mots et les " bêtes" visiteurs. Alors que nathalie Quintane bouleverse l'inscrit et le champ d'être pour pénétrer un peu plus la bêtise ...

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    3. Dans un certain sens leurs démarches sont sans doute à l'opposé. Mais elles ont quand même en commun l'ironie, la distanciation, la provocation, un goût pour une forme de radicalité... De toute façon, encore une fois, quelle image pour convenir ?

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    4. Vous attendez une réponse qui n'arrivera pas, Murièle parce que l'image reflétant l'extrait serré de texte n'existe pas par l'art d'un(e) autre. Elle est peut-être à faire ou inutile, je ne peux y répondre. Les mots déviants ne trouvent pas toujours d'image et ne peuvent pas toujours s'unir par simple envie d'unir les choses.

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  2. Pourquoi encore ce clivage? Comment peut-on encore distinguer entre ceux qui seraient ou non engagés dans le Réel ? Les poètes cités sont grands parce qu'ils touchent , par leur capacité à ciseler le langage . Le haiku ou l'oxymore génial ne sont là que pour servir l'impact, la flèche touche la cible immanquablement. Heureusement, les poètes authentiques ne se posent pas la question. Ou s'agit-il d'élitisme encore aujourd'hui? Ce serait bien dommage! "N'était le coeur nous serions sourds" belle formule de Michel Deguy, toujours parlante pour beaucoup... Marie-Brigitte Ruel

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    1. C'est vrai que cette manie du clivage est agaçante, et même Nathalie Quintane n'y échappe pas. Mais je trouve tout de même intéressante l'approche originale de la poésie qu'elle propose via cette question de la "bêtise". Qui n'est pas incompatible avec la phrase de Michel Deguy... Pour ma part, en tout cas, je souscris tout à fait à cette phrase !

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    2. Merci de cette mise au point. Encore faudrait-il définir ce que l'on entend par bêtise... Sens commun, simplicité ou tout simplement ce qui n'entre pas dans ma conception de l'art?

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    3. Pas facile de répondre... Mais je suppose que cela se rapproche plutôt d'une forme de sens commun, du cliché, du convenu. Je suppose...

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