Emmanuel Merle : le recueil "Démembrements"


Emmanuel Merle a fait paraître au printemps dernier un fort recueil intitulé Démembrements, accompagné de peintures de Philippe Agostini. J’avais déjà parlé ici de certains des poèmes du recueil qui avaient paru précédemment dans la revue Décharge. Je donne maintenant une lecture du recueil complet dans le numéro 72 de Poésie/première, ce mois-ci. En voici le début et la fin. Pour le reste, se reporter à la revue…

Le titre donne d’emblée la tonalité très sombre du livre, marqué par un sentiment de perte et de désunion. L’insistance est portée sur le corps, évoqué dans le texte par morceaux : « yeux », « langue », « ventre », « tête », « mains »… Mais si une certaine violence et le désarroi lié à la perte dominent, l’ensemble n’est pas absolument désespéré. Selon Emmanuel Merle lui-même, ces poèmes « disent le délitement du corps, la sensation confuse de désagrégation, mais […] tentent, aussi, le rassemblement nécessaire des mains ».

Le recueil est constitué de plusieurs parties, dont une note nous informe que certaines ont déjà été publiées séparément sous forme de livres d’artiste : une partie introductive sans titre, puis « Démembrements », « La nuit est armée », « Les lointains », « Le jour enfant », « Le don ». Toutes sont saisissantes par la force des images convoquées. Emmanuel Merle mêle le mythique à l’intime, le moderne au primitif, les visions de cauchemar aux lueurs d’espoir :

« Le fleuve est noir qui descend
les temps modernes, nous nous maintenons
à la surface en battant des bras,
cherchant de nos yeux à moitié aveugles
les bras des autres. »
[…]
Dans la bouleversante dernière partie, « Le don », le poète dit son désir, humble et immense, de garder quelque chose de « l’être », de la vie.

« nous étions là, dans la présence au monde,
liés par l’impalpable argentique de l’être.
L’âme était là, le trait accusé par le corps confiant.
Où est l’être, cette échancrure en chacun
par laquelle s’engouffrait le monde ?
Où est l’âme-totem désormais ? »
La mission est impossible. Les terres que nous traversons sont « gastes et veuves », nos pas sont « les pas forcés des exils ». Nous sommes tous semblables à Perceval, le personnage-titre du précédent recueil d’Emmanuel Merle, incapable de prononcer une parole simple et claire au moment où il le faudrait [Dernières paroles de Perceval, Editions L'Escampette, 2015: voir ici].

Et pourtant, parfois, il suffit de nommer – avec ce qu’il faut de lumière dans les mots, avec ce qu’il faut d’amour – pour réussir à retrouver la vie en même temps que la mémoire. Pour réussir à remémorer, à remembrer. « Ma fille, mon fils, penser à vous me prend / à la gorge : vous êtes vivants, / il n’y a rien au-dessus ».

Cela, c’est un don. Emmanuel Merle le possède.


Emmanuel Merle, Démembrements, Voix d’encre, 2018

© Jean-Michel Fauquet

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