Ça y est, j’ai lu un
livre d’Ivar Ch’Vavar. Ça faisait longtemps que j’en avais envie*, ne serait-ce
que pour voir ce que quelqu'un qui s’appelle Ivar Ch’Vavar peut écrire.
Aussi parce que, même si
je n’ai rien de picard ni de ch’ti, j’ai passé l’année de mes vingt-cinq ans dans
le Pas-de-Calais (grâce à l’Education Nationale : premier poste), et que
j’en ai gardé une tendresse indéfectible pour cette région — et pour les noms de pays qu’on y lit sur les
panneaux en sillonnant ses routes.
Dans La Vache d’entropie, je n’ai pas été décue : dès le deuxième
poème « 12 janvier 2018 », l’auteur nous emmène faire un tour du pays
en compagnie de Konrad Schmitt et de Dominique (enchantée de faire leur
connaissance). Défilent alors les noms et les lieux de la « Grande
Picardie Mentale » d’Ivar Ch’Vavar : Berck, Buire-le-Sec, Wailly-Beaucamp,
Montreuil, Hesdin… Et vraiment c’est tout un univers qui prend forme dans et
entre les lignes du poème. Certes cet univers paraît largement
« dévasté », et le petit tour entre amis est dès le début très désabusé
et sarcastique – les maisons tombent en ruine et les humains restent planqués
chez eux. Mais c’est justement ce qui le rend poignant. C’est un tour de
l’enfance, et l’enfance, c’est fini.
Heureusement, la poésie
peut tout, y compris et surtout offrir
un refuge à l’enfance. Les
plus beaux parmi les poèmes d’Ivar Ch’Vavar sont ceux qui nous le prouvent, et
ils le font de façon vraiment magistrale.
Contre les ravages du
temps, de la mort, de la destruction ; contre les saloperies du
capitalisme (saluons le premier poème qui persifle le cynisme d’un plan de
durcissement des conditions de travail nommé OSER : « Oser la connerie ! Ça mar / Che
presque toujours ») ; contre cette vache d’entropie, en somme, Ivar Ch’Vavar emmène ses vers justifiés
(ou sa prose bizarrement disposée) courir les bois, s’exciter entre camarades,
contempler le ciel. Et nous, on les suit.
Ci-dessous un extrait de « Poèmes
justifiés » – mais j’ai peur qu’avec la mise en page web ils ne soient
plus parfaitement justifiés…
Les grandes gens
[…]
Ça va bien. On va pouvoir
se perdre dans la journée,
Dans l’entière journée la
tête vide et tout à ses mains.
Tous nous levons la tête
du même côté – et en même
Temps – on fait la
grimace de celui qui regarde loin
Et qui voit les
monticules s’échelonner et les sentiers
Tourner. On pourrait voir
jusqu’à la mer, mais ça/ ne
Sert à rien. Il y a
toujours des nuages grands comme
Des trônes roulants ;
c’est le bon Dieu qui est dessus.
Au loin sur le canton le
blé avance comme un glacier
Vert Véronèse (un effet
de la distance) ; et le canton,
Certains disent la
planète. Il y a des chants d’oiseaux
Qui s’agglutinent à
certaines minutes en un endroit ;
Et c’est vite saturé. Sinon,
qu’est-ce que l’on pourrait
Encore trouver à
dire ?... On n’est pas complètement
Des idiots, on sent bien
qu’on est ici – et on le sait –
Dans une grande
respiration, un grand mouvement
De l’être. Même le bétail
a l’air de le sentir et savoir ;
Ou ce lapin qui déboule
là-bas, regardez, ou la grive
Qui frappe la coquille
d’un escargot sur cette pierre.
Ivar Ch’Vavar, La Vache d’entropie, éditions Lurlure, 2018
*Si j’ai mis du temps à
réaliser ce souhait somme toute pas extravagant, c’est que la production de cet
auteur paraît foisonnante, en constante réécriture, dispersée sous plusieurs
hétéronymes, souvent associée à celle d’autres poètes – ce qui est très bien,
mais on s’y perd un peu. Avec La Vache
d’entropie, publiée aux éditions Lurlure, on comprend de quoi il s’agit,
c’est rassurant : trois ensembles écrits à différentes époques et réunis
ici.
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