L’Irlande : pluie, vent, partout du vert, partout des
pierres, partout des souvenirs des humiliations passées (le spectre atroce de
la famine, la noirceur aigre du catholicisme étroit, l’émigration). Des
esprits et des fantômes qui ont le sommeil plus léger qu’ailleurs. L’amour
déraisonnable des habitants pour les mots, le sens du dérisoire, un peuple
d’anges.
Quarantine
In the
worst hour of the worst season
of the worst year of a whole people
a man set
out from the workhouse with his wife.
He was
walking – they were both walking – north.
She was
sick with famine fever and could not keep up.
He lifted her and put her on his back.
He walked
like that west and west and north.
Until at
nightfall under freezing stars they arrived.
In the
morning they were both found dead.
Of cold. Of hunger. Of the toxins of a whole history.
But her
feet were held against his breastbone.
The last
heat of his flesh was his last gift to her.
Let no love
poem ever come to this threshold.
There is no place here for the inexact
praise of
the easy graces and sensuality of the body.
There is
only time for this merciless inventory:
Their death
together in the winter of 1847.
Also what they suffered. How they lived.
And what
there is between a man and woman.
And in
which darkness it can best be proved.
Quarantaine
A la pire heure de la
pire saison
de la pire année de
tout un peuple
un homme quitta l’asile
des pauvres en compagnie de sa femme.
Il se mit à marcher,
ils marchèrent ensemble, vers le nord.
Mais la famine la
rendait si fiévreuse qu’elle ne pouvait le suivre.
Alors il la souleva, la
porta sur son dos.
Il marcha ainsi vers
l’ouest, l’ouest encore, enfin le nord.
Jusqu’à ce qu’au
crépuscule ils fissent halte, sous le firmament glacé.
Au matin, on les
retrouva morts tous les deux.
De froid. De faim.
Victimes de toutes les toxines de l’histoire.
Mais elle avait les
pieds serrés contre sa poitrine à lui.
Qui lui avait offert la
chaleur de son corps en ultime cadeau.
Ce seuil, ce n’est pas
à un poème d’amour de le franchir.
Pas de place ici pour
l’éloge imparfait
des grâces faciles et
de la sensualité du corps.
Seulement le temps de
faire l’inventaire impitoyable qui suit :
Leur mort à tous deux,
pendant l’hiver 1847.
Leur degré de
souffrance. Leur vie.
Le lien qui peut unir
un homme à une femme.
Et les heures sombres
où l’on en donne la plus belle preuve.
Traduit par Martine
Chardoux et Jacques Darras, in Poésie irlandaise contemporaine,
édition bilingue, Le
Castor Astral, 2013.
Photo Chris Killip