Vide-poche : Hervé Guibert à propos de Pina Bausch

En 1982, Hervé Guibert écrit dans Le Monde, à propos de l’art de Pina Bausch :

« Peut-être que la danse, plus que les larmes, est le sifflet léger d’une soupape de l’âme. Est l’imploration de cesser d’être l’homme sociable, réglé, dompté, pour redevenir animal, dieu, eau, feu. »

Je vois dans la poésie une imploration semblable – quel que soit le sens que l'on donne à "animal, dieu, eau, feu".


"L'homme sociable" endimanché devient corps anguleux, danse cocasse, énergie collective...  Dans le magnifique film "Les rêves dansants, Sur les pas de Pina Bausch".

Un film : "Oslo 31 août" de Joachim Trier

Il est beau. Il est intelligent. Il comprend. Il est encore jeune, ou pas encore vieux. Il a lu tous les livres, et la chair est triste, hélas. Il a de l’humour. Il comprend.
Il marche.
A Oslo, à la fin de l’été, une lumière magnifique baigne les rues, les parcs, et la nuit aussi semble posséder une luminosité particulière. Les gens sont beaux. Ils se parlent.
Ça pourrait donner envie de vivre, ça pourrait donner envie de mourir. C’est triste, ce n’est pas vraiment triste, c’est juste un manque. Tout le monde connaît ça.



Une critique du recueil "Rose activité mortelle" de Cécile Mainardi

Ce que je voudrais relever d’emblée, c’est le plaisir qu’il y a à lire les textes de Cécile Mainardi. Le plaisir est un critère que je trouve assez rarement sous la plume ou dans la bouche des critiques. On a souvent l’impression que l’idée de lire pour le plaisir serait honteuse, de l’ordre du péché. Il faut lire pour de plus nobles motifs. Certes. Et ces plus nobles motifs peuvent guider une lecture de Cécile Mainardi, et je pense qu’on ne sera pas déçu. Mais le plaisir reste aussi une excellente raison de la lire.

Le plaisir de lire Cécile Mainardi en est un parce qu’il découle directement du plaisir (manifeste) qu’elle éprouve à écrire, et à écrire sur ce plaisir d’écrire. Le plaisir paraît assez peu compatible avec l’idée de tragédie, et l’entreprise poétique de Cécile Mainardi ne relève pas du tragique ; elle ne tire pas son inspiration du tourment ; pas chez elle de cri, de déchirure, de brûlure, de torture et autres passages obligés du poète qui souffre : elle en est préservée par son humour, sa fantaisie, sa curiosité. Mais le plaisir n’est pas incompatible avec la tristesse. Le ton qui domine dans la plupart de ses poèmes et le charme qui s’en dégage rappellent la poésie d’Apollinaire : une sorte de tristesse joyeuse, de plaisir mélancolique.

Cécile Mainardi le revendique elle-même : elle est « une grande actriste ». Ecrire la tristesse, la jouer, s’en jouer. Elle joue, donc, nage, filme, écrit, embrasse, tire ses poèmes argentiques dans des bacs d’eau superliquide… Tout cela, c’est la même chose et pourtant jamais tout à fait pareil, et tout cela nous donne un étrange plaisir.

d ans l’eau superliquide, on ne peut pas révéler de photographie /…/ à croire que l’eau superliquide ne produit pas de révélation, mais que directement elle photographie en rafales ce qu’on voit/quand ce qu’on voit est vu par les mêmes yeux que ce qu’on lit

En fait, elle nous rappelle tout simplement pourquoi elle, pourquoi on écrit de la poésie : pas parce qu’on a le privilège de côtoyer les dieux, pas parce qu’on vit des choses supra-humaines dont le commun des mortels n’aurait aucune idée, ni même nécessairement parce qu’on doit jouer de la lyre pour aller chercher Eurydice aux Enfers. Mais essentiellement parce que travailler la langue est une intense jouissance. On suit ainsi la poète dans son activité jouissive, on la lit – lire et écrire de la poésie relèvent d’un même travail sur la langue. Avec elle on nage dans la langue comme dans une eau magique, et dans cette eau superliquide on retrouve notre corps superflexible, notre cerveau superamoureux de 15 ans, des seins fraîchement poussés, des cuisses bombées, des phrases qui coulent et qui se lisent toutes seules ! Et si on y retrouve également la tristesse de l’absence, cela ne saurait être tragique. Car n’est-ce pas cette absence précisément que vient remplir le poème ?

alors pour ne pas disparaître, je prends un accent
le premier accent que je prends est le bon
puis je replonge sous l’eau démoussée de mon bain
avec soudain des seins de fille de 15 ans

J’avais déjà été enthousiasmée par L’immaculé conceptuel, Deuxième blondeur, précédent recueil de Cécile Mainardi. Rose activité mortelle est pour moi une vraie réussite poétique, de celles qu'on voit très rarement, et qui marquent.

Cécile Mainardi, Rose activité mortelle, Flammarion, 2012


Photo (cynaotype) Michael McCarthy


"La faute aux fautifs"

"Comment des écrivains peuvent-ils s'inscrire dans une campagne électorale, ou plus généralement, dans un rendez-vous sociétal et citoyen ?"
Pour répondre à cette question, les éditions ActuSf ont demandé à des écrivains et poètes d'écrire des textes en rapport avec les présidentielles de 2012 et ont publié ces textes dans une anthologie intitulée "Appel d'air", la 2e du nom.
Elle est téléchargeable gratuitement ici.
Voici ma contribution.

 
La faute aux fautifs

« Si à cinquante ans on n'a pas une Rolex, on a raté sa vie. »
Jacques Séguéla en 2009
 
La finance arrogante qui s’emballe dans sa course,
qui organise la crise pour pimenter la Bourse,
c’est la faute aux fainéants qui touchent le RSA.

Les banques mal gérées qui demandent des millions
en échange de que dalle, qui nous prennent pour des cons,
ça c’est la faute aux profs, ils nous coûtent bien trop cher.

Les petits chefs hargneux qui harcèlent par réflexe,
pour être promus plus vite et s’acheter une Rolex,
c’est la faute à ceux qui lisent La Princesse de Clèves.

Les centrales nucléaires qui commencent à faire peur,
la terre qui chauffe, les glaces qui fondent, les abeilles qui meurent,
ça c’est la faute aux Roms, pasqu’y vivent en roulotte.

Les terroristes fous, qui, en tirant dans le tas,
croient qu’ils vont convertir le monde à leurs diktats,
c’est la faute au halal, au casher, au pas-comme-moi.


Photo Martin Parr, série "Luxury"