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Jean-François Mathé : le recueil "Vu, vécu, approuvé."

Jean-François Mathé vient de faire paraître cet automne ce qu’il annonce comme sa dernière publication, et c’est magnifique. Vu, vécu, approuvé. est un petit livre bouleversant. Un livre d’ombres et de silences qui dit pourtant la vie, resserrée ici comme un noyau de fruit, ainsi que le suggère le premier poème :

Je serre,
je resserre encore
et encore,

comme si je voulais
que ma vie
soit un fruit
tout entier entré
dans son noyau.

L’image est celle d’un repli, d’un retrait, presque d’un refus : un « consentement à mourir ». Et c’est aussi l’image d’une « nouvelle vie » en germe, comme le confirme le dernier poème.

Chacun des poèmes semble éclore doucement dans une nuit riche en rêves et en souvenirs, en mort aussi. Peu à peu des intrus s’infiltrent dans cette obscurité : le vent, qui remplit le vide tout en conservant le vide. Des clartés. L’amour et l’amitié.

Il est difficile de dire pourquoi ces poèmes ont une telle présence. J’ai la même difficulté à en parler que j’en ai pour la musique : car les mots des courts poèmes de Jean-François Mathé vont bien au-delà des mots, jusqu’à des clairières inconnues au milieu de la forêt du langage. C’est pourquoi ils découragent les mots bêtement intelligents (on espère, quand même) de commentaire et d’analyse.

Silence, donc.

Les mots, souvent, sont des yeux fermés
qui regardent la nuit en eux.
Nuit où en secret leur vient
le ciel clair qu'ils ont à offrir
quand ils seront des yeux ouverts
par ceux qui les lisent.


Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé., Le Silence qui roule, 2019
 

© Stéphanie Ferrat, Penser

Jean-François Mathé, "Retenu par ce qui s’en va"


Régulièrement, il faut lire un recueil de Jean-François Mathé. Ça fait un bien fou. Je l’ai peut-être déjà dit, je le redis. 
C’est comme, je ne sais pas, entrer dans une église romane du Poitou. Régulièrement, aussi, il faut entrer dans une de ces églises romanes de campagne en pierre blanche. De celles qui sont signalées dans les guides touristiques mais sans insistance. Simples, rurales, droites, souveraines. Conçues pour la durée, pour le passage des saisons, pour la conversation avec les paysages mentaux et avec les morts.
Les poèmes de Jean-François Mathé, c’est pareil.
Ils ne sont pas dans l’air du temps, ils sont une conversation avec le temps.

Le petit recueil Retenu par ce qui s’en va par exemple – quel beau titre – est une suite impeccable de moments de grâce.

à Olivier Rougerie

Parfois l’horloge reste seule attachée par le temps.
Nous, déliés, nous voici libres de remonter dans nos vies
chercher par où a fui le gaz, par où s’est perdue l’eau
et colmater si nous pouvons.
Mais nous ne trouvons pas.

Au retour, l’horloge nous remet à notre place
dans le défilé du temps
et de la neige qui commence à tomber
chacun reçoit le flocon froid
qu’il lui faut ajouter à son âge.

Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va, Editions Folle avoine, 2015


Photo © Jungjin Lee


Jean-François Mathé: Agrandissement des détails

On ne parle pas assez de Jean-François Mathé. C’est que sa poésie n’est pas spectaculaire, pas tape-à-l’œil, pas déchirée ni déchirante, pas non plus divertissante, elle ne cherche pas l’effet. Elle ne brasse pas d’air mais justement pour cela, elle sait créer du vent, réellement :
Le vent se retourne
comme quelqu'un sans visage,
et nous nous traversons l’un l’autre
sans étreinte au passage.
Moi, en lisant cela dans le métro, assise au milieu de mes semblables patients, j’ai reçu une rafale en pleine face. J’ai été traversée. Beat that.

La poésie de Jean-François Mathé n’est pas spectaculaire mais elle est nourrissante, ce qui vaut beaucoup mieux. Personnellement, sa lecture me procure des sensations similaires à la contemplation des tableaux de Giorgio Morandi, par exemple (les vrais tableaux, et non leur reproduction numérique sur internet, cela va de soi). Pas en ce qui concerne les thèmes, mais pour la vibration, le tremblé, pour l’émotion de la ligne. Le peintre figuratif crée un espace de vie sur sa toile, autour du motif représenté et en celui-ci : la nature morte vit. De même, chez Jean-François Mathé, les mots tremblent, réagissent les uns aux autres et créent un espace de vie autour d’eux : les détails s’agrandissent à la dimension de la vie entière.
N’est-ce pas cela, la poésie ?
Lisez donc Agrandissement des détails.



A coups de lumière froide, février taille les jardins jusqu’à l’essentiel. On a l’impression d’y grandir par le silence et la pureté, par des enjambées matinales qui ont gardé du sommeil le pouvoir de tout traverser sans rien abîmer au passage. Et l’on irait longtemps ainsi, du clair au plus clair encore, si les cris des corbeaux ne tiraient soudain du silence les lambeaux de ce qui a secrètement pourri sous le temps.

Jean-François Mathé, Agrandissement des détails,  Rougerie, 2007


Giorgio Morandi, Nature morte

Hommage aux revues (3) : Jean-François Mathé dans Friches


Si l’ombre de la moindre feuille qui s’envole
est une main,
je lui donne la mienne
pour partir loin d’ici
où mes cinq doigts
n’ont jamais rien su saisir.

Sont passés l’eau, le sable, le temps,
je reste vide comme le vent d’un pays sans arbres
et le regard clair de n’avoir rien vu.

J’irai où le veut l’ombre,
le cœur papillon encore vivant
battant contre des lampes toujours éteintes,
comme éteintes les illusions.

Jean-François Mathé dans Friches n° 109


Helene Schjerfbeck, Autoportrait à la tache rouge