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Alejandra Pizarnik : "Arbre de Diane" (traduit par Jacques Ancet)

Les éditions Ypsilon, dont on a toujours grand plaisir à tenir les livres dans la main et sous les yeux (et sous le nez — l’odeur des livres, l’une des meilleures qui soit), ont eu l’excellente idée de republier les recueils d’Alejandra Pizarnik. — Un seul regret : que l’édition de ce recueil ne soit pas bilingue. —
 
Arbre de Diane est, selon son traducteur Jacques Ancet, la première œuvre majeure de la poète argentine. Octavio Paz présente ainsi le texte dans sa préface : « étant donné son extraordinaire transparence, rares sont ceux qui peuvent le voir. Solitude, concentration et perfectionnement général de la sensibilité sont des conditions indispensables à sa vision. (…) l’arbre de Diane n’est pas un corps qui puisse se voir : c’est un objet (animé) qui nous permet de voir au-delà, un instrument naturel de vision ». Pas de doute, nous avons bien affaire à un poème.

La vie et l’œuvre d’Alejandra Pizarnik évoquent de façon troublante celles de Sylvia Plath : le suicide très jeune, bien sûr, la souffrance de vivre et l’ombre planante de la folie ; mais aussi l’époque — toutes deux sont nées dans les années 1930 —, le rapport problématique au corps, le thème du double. Pourtant, l’écriture de Pizarnik est en quelque sorte à l’opposé de celle de Plath : très brève, condensée à l’extrême, comme réticente à exister. Alors que les poèmes de Plath, pour être tout aussi denses et brillants, sont beaucoup plus foisonnants et déployés. Comme si Plath laissait libre cours à l'excès du langage, et Pizarnik à l'excès du silence — deux facettes d’une même expérience.



8

Mémoire illuminée, galerie où traîne l’ombre de ce que j’attends.
Ça n’est pas vrai qu’il viendra. Ça n’est pas vrai qu’il ne viendra pas.

**

15

Etrange de me déshabituer
de l’heure où je suis née.
Etrange de ne plus jouer
mon rôle de nouvelle venue.

**

25

(exposition Goya)
un trou dans la nuit
subitement envahi par un ange

**

Je chante.
Non pas invocation.
Mais des noms qui reviennent.


Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane,
traduit par Jacques Ancet, Ypsilon éditeur, 2014



8

Memoria iluminada, galería donde vaga
la sombra de lo que espero. No es verdad
que vendrá. No es verdad que no vendrá.

**

15

Extraño desacostumbrarme
de la hora en que nací.
Extraño no ejercer más
oficio de recién llegada.

**

25
(exposición Goya)
un agujero en la noche
súbitamente invadido por un ángel

**

Yo canto.
No es invocación.
Sólo nombres que regresan.

Photo Francesca Woodman

L’essai "Poésie et réalité" de Roberto Juarroz


De cet ouvrage paru en 1987, mi-essai, mi-poème, on aurait envie de tout citer :

 « De ce point de vue [celui de la poésie], penser et sentir sont une seule et même chose, comme l’intelligence et l’amour, l’action et la contemplation ».

« Octavio Paz a pu dire à l’occasion d’un entretien : ‘Toute grande poésie doit se confronter avec la mort et être une réponse à la mort’. Moi, qui ne crois pas aux réponses, je préfère penser la poésie comme une présence devant la mort ».

« Peut-être l’unique sens est-il l’intensité sans le sens ».


Conception ‘moderne’ plutôt que 'postmoderne' de la poésie, sans aucun doute. Le poète argentin affirme, loin du recyclage kitsch ou de l’expérimentalisme formaliste contemporains, une croyance en un « autre côté » – en l’invisible, en l’impossible, en la « resacralisation laïque du monde ».
C’est revigorant – et c’est parfois un peu gênant, aussi… Juarroz en effet ne se départ pas d’une certaine conception du poète comme un être à part, quasi sacré ou quasi martyr. Certes, ce qu’il veut surtout dire, c’est que la poésie est une expérience à part. Mais il ressort tout de même de certaines de ses formulations l’idée du caractère exceptionnel et pour ainsi dire héroïque de la personne elle-même du poète.
En tout cas, celui-ci est présenté comme étant clairement au-dessus de la mêlée. « La poésie prétend accomplir la tâche suivante : que le monde ne soit pas seulement habitable pour les imbéciles », dit le texte d’un de ses amis qu’il reprend à son compte. Cet aspect-là est un peu décevant : expérience à part ou non, on semble toujours retomber, finalement, sur l’ego du poète. C’est dommage. J’aurais préféré que Juarroz ne parle que de poésie et laisse le poète tranquille.

Poésie et réalité (1987) de Roberto Juarroz,
traduit de l'espagnol par Jean-Claude Masson, Éditions Lettres vives, 1987


"Chemin principal et chemins secondaires" de Paul Klee (dont Juarroz cite la belle formule : « Le visible n’est qu’un exemple du réel »)