Un poème de Kostas Karyotakis: "Seulement"


Kostas Karyotakis avait été nommé fonctionnaire dans un petit port tranquille de Grèce, un joli petit port sur la Méditerranée, Prévéza – un petit port où rien ne se passe mais où l’on trouve la mer, le vent et le soleil. Ça ne lui a pas suffi : un beau jour d’été, il s’est tiré une balle dans le cœur. Il avait 31 ans. Ce n’est pas cela, certes, qui fait de lui un bon poète, mais comment ne pas en parler ? Kostas Karyotakis, encore tout jeune, a donc choisi de mettre fin à ses jours. Avant cela, il avait aimé Maria Polydouri, une autre poète, et écrit des vers qui restent dans le cœur, là où il a voulu se tirer une balle.



Seulement

Ah ! Tout devait arriver comme ça !
Voir les espoirs et les roses s’effeuiller.
Voir les barques des années s’échapper,
s’échapper et s’éteindre.

Comme ça, comme on se séparait au soir,
perdre à jamais tant d’amis.
Quitter le lieu où, enfant, j’ai grandi,
à la tombée de la nuit.

Les filles belles et simples – mes petites chéries ! –
emportées, en un tour de ronde, par la vie.
Et la douleur, qui m’enivrait parfois,
m’affliger encore en vain.

Tout ça devait arriver. Seulement, la nuit
n’aurait dû se montrer aussi douce qu’aujourd’hui,
ni les étoiles jouer là, comme ça, à me regarder
comme si elles me souriaient.

Kostas Karyotakis et Maria Polydouri, Telles des guitares désaccordées,
poèmes traduits par Michèle Justrabo, édition Bruno Doucey, 2016



Μόνο

Αχ, όλα έπρεπε να 'ρθουν καθώς ήρθαν!
Οι ελπίδες και τα ρόδα να μαδήσουν.
Βαρκούλες να μου φύγουνε τα χρόνια,
να φύγουνε, να σβήσουν.

'Ετσι, όπως εχωρίζαμε τα βράδια,
για πάντα να χαθούνε τόσοι φίλοι.
Τον τόπο που μεγάλωνα παιδάκι
ν' αφήσω κάποιο δείλι.

Τα ωραία κι απλά κορίτσια - ω, αγαπούλες! -
η ζωή να μου τα πάρει, χορού γύρος.
Ακόμη ο πόνος, άλλοτε που ευώδα,
να με βαραίνει στείρος.

Όλα έπρεπε να γίνουν. Μόνο η νύχτα
δεν έπρεπε γλυκιά έτσι τώρα να 'ναι,
να παίζουνε τ' αστέρια εκεί σαν μάτια
και σα να μου γελάνε.

Κώστας Καρυωτάκης

Edvard Munch, La danse de la vie

Un poème de Laura Vazquez


La Main dans la main de Laura Vazquez a gagné en 2014 le Prix de la Vocation et une publication chez Cheyne. Voici un extrait du recueil.


Parfois le visage se regarde lui-même,
il se dresse sur lui-même,
sur les yeux.

Parfois les objets de la maison sont là
et ils ne disent rien.

Ils sont comme des renards
qui passent le cou baissé.

Parfois le monde nous déteste,
il fait tout comme si nous n’étions pas là.

Parfois nous adorons la vie
et les plantes,
les éclairs, les images.

Soudain, nos joues s’enfoncent,
notre peau est si tendre,
tant de matières la transpercent,
le bois, l’acier, le calcaire,
et l’or, l’argent, le cuivre.


Photographie © Roger Ballen