Rose Ausländer : le recueil « Pays maternel »


« Pays maternel » : le poème (et le recueil) le plus emblématique de la poésie de Rose Ausländer. Pour reprendre les termes d’Edmond Verroul (traducteur du recueil aux éditions Héros-Limite), ce texte se déploie à partir d’un « effondrement total, sans appel et sans recours » — celui causé par l’expérience du ghetto et du totalitarisme pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis de l’exil. Une écriture maigre, ascétique, délestée de tout superflu, et par là proche de la grâce.


Immaculé

Pas la neige

D’une plus grande blancheur que
Les signes que l’ermite
Inscrit
Sur le tableau de la solitude

Parfaitement immaculé
Le temps


*

Pays maternel

Ma patrie est morte
Ils l’ont réduite
En cendre

Je vis
dans mon pays maternel
Le verbe

Rose Ausländer, Pays maternel, traduit par Edmond Verroul, Héros-Limite, 2015


Lithographie de Zoran Music, « Wir sind nicht die Letzten » (« Nous ne sommes pas les derniers »)


Vide-poche : Gabrielle Althen, « Sans créneaux »


"Cette douceur de la robe de l’air, je n’ai pas su la dire. Elle a brillé, elle a passé, parmi les ongles replié des villages. Le ciel penché n’avait livré que des fleurs vides et j’ai erré parmi des mots sans but, au bord de tragédies jamais reçues non plus."

Gabrielle Althen dans la revue Europe de septembre-octobre 2019 (n° 1085-1086)


© Thierry Diers

Claire Rengade : le recueil "Bon pour accord"


Claire Rengade retranscrit dans ses poèmes des bribes d’oral, des bouts de conversation, des mots jetés comme ça, « en mélangeant tout ». Ce n’est pas sans rappeler le « Lundi rue Christine » d’Apollinaire. La voix, la langue et le corps la préoccupent particulièrement : ces motifs reviennent de façon récurrente dans les textes-puzzle qu’elle élabore. Le jeu également — jeu théâtral, jeu vidéo, jeux d’enfants, croit-on reconnaître. (La notice bio-bibliographique nous indique que Claire Rengade est orthophoniste et comédienne). Tout cela crée un drôle d’accord à la fin, pas mal dissonant. Une discordance qui fait corps. De toute façon, « c’est pas symétrique un accord ».



je suis écrite dans tes caresses
tu vois bien comment ça va dans un corps
ça va vite quoi
ça me fait des phrases

ta main sur n’importe quel ton
c’est une maladie
je suis un phénomène de foire

je fais des collections dans ma tête
faut oublier quoi
tout le monde dit que je suis de travers

j’ai pas le mot simple qui vient d’un coup
j’ai que le mot compliqué


Claire Rengade, Bon pour accord, éditions La Boucherie littéraire, 2019


© Lionel Sabatté