Vide-poche : Natsumé Sôseki


Oreiller d’herbes du Japonais Natsumé Sôseki (1867-1916) est un drôle de livre : roman d’amour raté, faux roman d’initiation ironique, vraie réflexion sur la peinture et la poésie, et aussi recueil de poèmes. Un très beau livre.
Voici un extrait où le romancier propose une définition originale de la poésie…



« En tout cas, puisque j’ai raté mon tableau, je vais composer un poème. Je pousse la pointe de mon crayon sur mon carnet de croquis et je balance mon corps d’avant en arrière. Pendant quelques instants, je ne fais que désirer mouvoir la pointe, mais elle ne bouge pas du tout. C’est comme si j’oublais soudain le nom d’un ami et que, bien que je l’aie sur le bout de la langue, je ne puisse le prononcer. Mais si l’on y renonce alors, le nom qui n’est pas sorti nous restera toujours au fond du ventre.

Quand on malaxe la farine pour pétrir de la pâte, elle est au départ trop fine et les baguettes ne rencontrent aucune résistance pour leur mouvement ; mais si l’on est patient, elle prend peu à peu de la consistance, et la main qui pétrit s’alourdit.. Si l’on continue à malaxer, il arrive un moment où l’on ne peut plus tourner. C’est, à la fin, la pâte, qui sans qu’on le demande, colle à vos baguettes. Faire de la poésie, c’est justement cela.

Mon crayon, qui était sans vie, s’est mis à bouger graduellement et, profitant de ce mouvement, j’ai réussi, au bout de vingt ou trente minutes, à composer ces six vers […] »

Natsumé Sôseki, Oreiller d’herbes [Kusamakura, 1906],
traduit du japonais par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura, Rivages poche, 2015


Encre de Sesshû Tôyô, peintre du XVe siècle cité par
Sôseki