Affichage des articles dont le libellé est Savitzkaya. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Savitzkaya. Afficher tous les articles

Eugène Savitzkaya, extrait de "Bufo bufo bufo"


Bizarre, bizarre, bizarre. Ça fait penser aux Chants de Maldoror, à Hyeronimus Bosch, à Dostoïevski, à Beckett, et finalement à rien de ce qu’on connaît.
 
Après son remarquable roman Fraudeur – que je trouve en réalité plus réussi – il m’a paru intéressant cependant de faire une incursion dans les poèmes d’Eugène Savitzkaya. Un petit aperçu :



Chair de poisson

Je suis un garçon tranquille, la nuit je laboure,
de boue est mon cœur pétri, lavé de noire eau pure,
je conduis des camions, je charge du charbon dans la
coque pourrie, je visite les fonds, contre le mur
je salive et je crache, de la lumière du feu
j’ai peur, comme un porteur d’eau je titube, comme
l’éperlan, j’ai la bouche close et les dents
desserrées, blanc du soleil sur mes flancs et ma
queue, poudre de pierre, la fleur de claire farine,
parmi les branches, là où le vent souffle, là
où coule le sable, se renverse la montagne
éphémère et pure, pleine d’eau, glacée et tendre,
de craie fine posée sur la mer, là je bois la
saveur, ma bouche au jet, ma main au bec,
limon qui me parfume, (…)


Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo, Minuit, 1986 
 

© Michael Ackerman, série "Half life"

Eugène Savitzkaya, extrait de "Fraudeur"


Eugène Savitzkaya écrit des poèmes et des romans, mais c’est peut-être dans le roman qu’il est le plus poète – de même que Nicolas Bouvier par exemple est meilleur poète dans L’Usage du monde que dans ses poèmes.
Chaque texte qui compose l’étrange et inclassable roman Fraudeur paru l'an dernier est magnifique. Un peu au hasard :


Avant de descendre l’escalier de la si maigre maison, le garçon franchit le palier du premier étage et pousse la porte de la chambre de ses parents. Sa mère semble profondément endormie, la tête blottie dans l’oreiller en duvet d’oie, un bras nu étendu sur la couverture légère du lit matrimonial. Elle dort dans la lumière et les mouches vrombissent. Quel âge peut avoir cette femme qui semble dormir ? Quel chemin a-t-elle parcouru avant d’arriver ici dans ce lit en bois ? Le livre commence ici et je n’ai pas la moindre idée du trajet qu’il prendra. Dans mon métier, il est nécessaire de se munir d’échelles mais inutile de posséder un mètre ruban, une montre. Un métronome est admis : le cœur, ses secousses, ses arythmies et ses arrêts à mesurer.

Eugène Savitzkaya, Fraudeur, Minuit, 2015


Josef Koudelka, série "Gypsies"