L’une des séquences du recueil Dormans de Marie Etienne s’appelle « Frontières »,
et les frontières sont en effet le lieu privilégié d’où la poète écrit :
frontières entre rêve et veille ou entre mort et vie, mais aussi entre homme et
femme, entre orient et occident, entre compassion et cruauté, entre prose et
vers…
A la fin du recueil, parlant de ses textes, elle pointe la
« nécessité de la clarté dans l’incompréhension » et « le
langage, l’écriture, comme une lampe à huile que l’on promènerait sur les
parois originelles » – image magnifique. (Il y a donc quand même autre
chose que le seul « choix du noir » !). Comment ne pas avoir
envie de s’engouffrer avec elle à la découverte de ces parois oubliées qui nous
attendent quelque part ?
Elle a les mains le long des cuisses, ses petits pieds
empaquetés dans des chaussettes.
A croire qu’elle est déjà partie.
Les morts ont ce qu’il faut, une maison et parfois
deux, des chaussettes pour leurs pieds.
Merci merci besoin de rien, indifférents même à
l’enfant qu’ils adoraient.
Le public est sceptique.
– Elle m’adorait, criè-je.
Et sur le ton de la conversation :
– N’insistons pas je m’en retourne.
Je m’interroge encore sur sa disparition.
D’un certain point de vue, elle n’est pas morte,
puisqu’elle me rend visite, avec ou sans ma sœur
Iris, toutes deux ni vivantes ni mortes, simplement
écartées de la vie, non débusquables.
Marie Etienne, Dormans,
Flammarion, 2006
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© Cindy Sherman |