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Vide-poche : Valéry et Genette


Paul Valéry note ceci dans Calepin d’un poète :

« Le passage de la prose au vers ; de la parole au chant, de la marche à la danse. – Ce moment à la fois actes et rêve. »



Gérard Genette (après Jean Hytier) reprend et reformule ainsi ces notes de Valéry, dans Fiction et diction :

« La poésie est à la prose, ou langage ordinaire, ce que la danse est à la marche, c'est-à-dire un emploi des mêmes ressources, mais ‘autrement coordonnées et autrement excitées’ dans un système d’ ‘actes’ qui ont leur fin en eux-mêmes ».


Florence, Eglise Santa Maria Novella, Chapelle Spagnuolo (détail)

D'après Kontakhof de Pina Bausch


D’habitude je ne mets pas de work in progress sur ce blog, pas de poèmes écrits tout récemment – je m’étais dit que je mettrais de préférence des poèmes déjà validés par une publication, il faut bien se fixer des règles. Mais comme il faut bien aussi faire des exceptions aux règles, voilà pour une fois un poème tout récent. Je l’ai écrit après avoir vu au Théâtre de la Ville à Paris Kontakhof, le spectacle de Pina Bausch dont on trouve des extraits dans le documentaire Les rêves dansants. Il est directement inspiré du spectacle. Je ne suis pas du tout sûre qu’il soit fini.



je descends l’élégant escalier de marbre
dans ma robe de satin pastel
la main glisse distinguée sur la rampe en fer forgé
j’ai le pas altier dans mes chaussures à talon
un port de danseuse
je souris délicatement   
les os fins sous la peau
j’en fais peut-être un peu trop

(en bas de l’escalier j’entrouvre
la porte d’une cave
il y a de la lumière à l’intérieur
je n’ose pas pousser la porte
si j’entrais je trouverais peut-être du monde)

le groupe des femmes en robes de satin pastel
le groupe des hommes en costume noir
c’est dans la salle de bal qu’ils se trouvent
la danse va commencer
la comédie sociale

je souris gracieusement je rejoins la ronde
les corps anguleux les gestes dérisoires
les offenses les ratages
on en fait peut-être un peu trop

on est mal assortis
et les histoires d’amour finissent mal en général


Kontakthof, photo Maarten van den Abeele


Un spectacle de danse (Faces de Maguy Marin) et une expo (Bertrand Lavier)


Ces temps-ci, à Paris, Maguy Marin présente des spectacles au Théâtre de la Ville (temple de la danse contemporaine) et Bertrand Lavier a l’honneur d’une rétrospective au centre Pompidou (temple de l’art contemporain). Les deux temples étant géographiquement voisins, on peut donc enchaîner  l’un sur l’autre, ce que j’ai fait le week-end dernier (un vrai week-end de prof de lettres – passons). C’était en ce qui me concernait un premier contact avec deux artistes français que je ne connaissais pas. Le dirai-je d’emblée, je ne suis pas sûre de souhaiter un deuxième contact.


Dans les deux cas, mon impression a été d’assister à une expérience artistique non pas mauvaise, mais plutôt ratée – ratée par excès de prétention, de creux, de concept.

L’expo Bertrand Lavier par exemple : on entre dans une salle. On voit des objets exposés. Objets pas beaux (évidemment), pas émouvants (on s’en serait doutée), pas même surprenants non plus (les ready-made, on connaît déjà). Mais ce n’est pas grave, on est bien disposée, on ne veut pas renoncer tout de suite comme la première réac venue, on veut croire qu’il y a là quelque chose d’intéressant.
Et de fait ces objets ont un côté intriguant, énigmatique. On ne les comprend pas. On se doute qu’il y a quelque chose à comprendre qui nous échappe – c’est intéressant, ça. On imagine qu’il doit y avoir un « message » à trouver.
On ne passe pas trop de temps à chercher ce fameux message : puisqu’il y a une explication au mur, on va plutôt lire ça. On lit donc. Effectivement, il y a bien un « message » dans ces objets. Le texte au mur nous dit lequel. Le texte explicatif explique, assez brillamment d’ailleurs, et on comprend tout. Le texte fait dix ou quinze lignes. Une fois lues ces dix ou quinze lignes, il n’y a plus rien à lire, plus rien à regarder surtout. Puisqu’on a tout compris et qu’à part se faire comprendre, ces objets ne proposent rien. On passe à la salle suivante. Un nouveau texte nous explique brillamment le nouveau message derrière les nouveaux objets exposés. Objets pas beaux, pas émouvants, pas même surprenants. Objets, une fois compris leur « message », une fois gratté leur mince vernis d’énigme, d’un ennui total.
On sort de l’expo en ayant déjà tout oublié – si ce n’est, peut-être, le rouge vif de l’Alfa Roméo accidentée trônant dans une salle, dont le message est… quel est le message, déjà, pourtant dans le petit texte ça avait l’air intelligent, tant pis, tout oublié à part le rouge vif.

Le spectacle de danse de Maguy Marin, c’était exactement la même chose, transposée sur scène. Pas de danse (ça risquerait d’être beau, émouvant, surprenant), mais des messages, des idées (éculées, faut-il le préciser). Quelques rares minutes où l’attention est soudain éveillée, où le plaisir surgit soudain, parce que sur scène, soudain, il y a de la danse – de l’émotion visuelle. Le reste du temps, un ennui total. Et un gros sentiment de talents gâchés (pour les artistes) et de temps perdu, sans parler de l’argent (pour la spectatrice).

Un artiste visuel travaille la matière et les couleurs, une chorégraphe travaille les corps en mouvement. Pas les idées. Pas les concepts. Pourquoi cela semble-t-il si difficile à admettre, pour l’art contemporain dominant (institutionnalisé, c'est-à-dire académique) ? En quoi est-ce si moralement ou philosophiquement inacceptable ?
Les idées, en art, naissent de la matière travaillée. Sinon, elles ne sont qu’ennui. Et rien n’y fera.


Bertrand Lavier, Giuletta


Vide-poche : Hervé Guibert à propos de Pina Bausch

En 1982, Hervé Guibert écrit dans Le Monde, à propos de l’art de Pina Bausch :

« Peut-être que la danse, plus que les larmes, est le sifflet léger d’une soupape de l’âme. Est l’imploration de cesser d’être l’homme sociable, réglé, dompté, pour redevenir animal, dieu, eau, feu. »

Je vois dans la poésie une imploration semblable – quel que soit le sens que l'on donne à "animal, dieu, eau, feu".


"L'homme sociable" endimanché devient corps anguleux, danse cocasse, énergie collective...  Dans le magnifique film "Les rêves dansants, Sur les pas de Pina Bausch".

Une critique de l'exposition photo/vidéo « Human form » : Frédérique Chauveaux et Michael McCarthy


C’est dans le Marais, rue des Coutures Saint-Gervais, dans la belle galerie Duboys. Michael McCarthy, photographe et plasticien américain, et Frédérique Chauveaux, danseuse et vidéaste française, ont été réunis ici pour leur travail sur la forme humaine, « human form » : de la forme naît le sens, la possibilité d’un sens, pour appréhender ce que c’est qu’être « humain ».

© Michael McCarthy
Dans la première salle, Michael McCarthy, « photographe qui peint ou bien peintre qui photographie » comme il se définit lui-même, expose d’étonnants autoportraits photo. Il transforme son propre corps, son propre visage, en un lieu de méditation à la fois douloureuse et étrangement sereine sur le temps, sur la présence humaine, sur la vulnérabilité et la grâce. Les photographies très travaillées – négatifs coupés, déchirés, peints – deviennent des objets soumis au travail du temps au même titre que le corps. L’effet produit est intense, presque fantastique : on a l’impression d’assister à la fois à une désintégration (en particulier pour les « Anti-portraits ») et à une affirmation de puissance.
« Ce qui est le plus proche est souvent le plus mystérieux », dit le titre de l’une de ses séries, d’après une citation de David Hockney.


© Frédérique Chauveaux
On passe dans l’autre salle. Frédérique Chauveaux, danseuse, chorégraphe, a filmé des morceaux de son corps en mouvement, ou de celui des autres : mains, nuques, têtes, torses. Elle les projette sur des objets inattendus, les objets qui accueillent ces morceaux de corps au quotidien, oreiller, chemise, lavabo. Les objets de la vie courante, façonnés et utilisés par le corps humain, deviennent ainsi des lieux soudain insolites où le corps fragmenté prend son sens, et en même temps le questionne. On retrouve là, dialoguant avec les photographies, une méditation fascinante sur ce qu’est un corps dans le temps et l’espace.

Vide-poche : la poète américaine Ruth Fainlight

Y a-t-il rien de mieux au monde que la danse ? Danser, regarder les autres danser. Si je savais danser, si je pouvais vivre en dansant, je n'écrirais pas de poème. Ou peut-être qu'au contraire j'en écrirais : de meilleurs.


« Poem and dance are the most primitive and most enduring expressions of the sense and joy of being alive. » 
« Poème et danse sont les expressions 
les plus primitives et les plus persistantes du sentiment et de la joie d’être en vie ».


Ruth Fainlight dans The Bloodaxe Book of Contemporary Women Poets (1985)


 Brueghel l'Ancien, La danse des paysans