Le recueil de Cécile Guivarch "Vous êtes mes aïeux"


Acheté ce week-end au Salon du livre, au stand des éditions Henry, et lu dans la foulée : le recueil de Cécile Guivarch Vous êtes mes aïeux, une méditation sur ce qui nous relie (ou non) à nos ancêtres, ces gens dont on vient et dont on ignore tout ou presque.

C’est une question qui me touche – qui touche, je pense, la plupart d’entre nous. Même si tout le monde n’est pas concerné. L’anthropologue Philippe Descola signale que les Jivaros d’Amazonie dont il a partagé l’existence pendant plusieurs années vivent dans un désintérêt total pour leurs aïeux, que souvent les petits-enfants ne connaissent même pas le nom de leurs grands-parents. Les Jivaros Achuar ne sont pas leurs ancêtres. Nous, à quel point sommes-nous nos ancêtres ?



vos noms plein la tête

(je ne sais quoi en faire)

vos silhouettes s’écroulent
sinon me retiennent

qu’avez-vous fait de moi
vous m’aimiez autant

vous êtes avec moi sous le ciel
dans mon sang

*

vous déterrer

vos langues pourries
ne disent rien

ni vos reliques

je n’en peux plus
d’autant d’immobilité

*

faut que vous soyez morts

alors on sait que la vie sans nos morts
n’est rien que vous ramassés sur nos dos
à parler au creux de nos oreilles


Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux, éditions Henry, 2013


Christian Boltanski, Le reliquaire

Un poème d'Yvon Le Men


J'ai assisté à une lecture de ses poèmes par Yvon Le Men, à Paris, il y a un an ou deux, et cela m'a marquée. Rares sont les poètes – je trouve – qui sont aussi de vrais comédiens, et des comédiens suffisamment bons pour mettre pleinement en valeur leurs textes. Yvon Le Men est l'un d'eux.

 
Il faut que je te laisse partir
pour que tu reviennes
reviennes

viennes
comme la première
des premières fois

quand dans ta voix
j’ai voulu rester.

Il faisait beau
c’était dimanche
ou peut-être samedi

tu m’as dit
en ce temps-là
à demain

ou peut-être à bientôt.

En ce temps-là
ce n’était pas grave
de ne pas savoir

si c’était demain
ou après-demain

que tu reviendrais.
Yvon Le Men, Chambres d’écho, Rougerie, 2008


Peinture de John McAllister

Un poème de Sylvie Fabre G. (extrait de "Neige la mort")



Neige la neige
l’enfant tend les doigts
gants blancs
enfilés de mémoire
il neige
l’oubli floconne
sur le lierre
les statues
sur la grille vieillie
du jet d’eau
sur le poème qui claque des mots
il neige
dessus la douleur
et dessous l’oreiller du froid
des fleurs
des pierres
la petite voix loin
étouffe
dans le temps, murée
neige la neige
le mort tend la langue.

Sylvie Fabre G., Frère humain, L’amourier, 2012


Léon Spilliaert, Paysage de neige

Vide-poche : la poète danoise Inger Cristensen


« Je regarde les mots comme des structures biologiques, des cellules vivantes. Le réel bouge, les mots sont comme des tentacules. Nous faisons partie de la réalité que nous écrivons ; c’est pourquoi il est passionnant d’écrire des poèmes: nous écrivons cela et nous-mêmes à la fois ». 

Inger Cristensen dans une interview, citée et traduite par Janine & Karl Poulsen, in Alphabet, Ypsilon éditeur, 2014.


© Fabienne Verdier : Energy Fields