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Kamo no Chômei : "Notes de ma cabane de moine"


Initiation en cours à un certain type d’étranger, d’étrangeté. —

La plupart des ouvrages de littérature japonaise me font le même effet. Quand j’ouvre le livre, je rentre dedans avec une facilité qui me déconcerte et me déçoit : c’est tout ? Rien de spécial a priori. Rien que d’assez banal. Du fade – comme on le dit aussi de la cuisine japonaise.

Et puis je continue à lire et avant même de m’en rendre compte, avant d’avoir compris comment et pourquoi, je suis charmée (exactement comme par la cuisine japonaise). C’est moins un envoûtement qu’un apaisement, une sensation de bien-être. Pourtant je n’ai pas remarqué de changement spectaculaire dans l’écriture ; mais ce qui me semblait fade au début prend à présent une saveur dont je ne me lasse pas. Je lis, je suis bien. Et j’ai du mal à analyser pourquoi.

Les Notes de ma cabane de moine de Kamo no Chômei, par exemple, écrites au xiiie siècle : ce sont des considérations assez peu originales sur la solitude et le retrait du monde. Il ne s’y passe rien (si, une série de catastrophes au début). On n’a pas de grandes révélations mystiques. Prières, promenades, et pas grand-chose d’autre. Moi, je suis charmée.




« Tantôt je cueille des pousses de roseaux, ou des fruits de laurier sauvage, je ramasse des ignames, ou du cresson. Tantôt je vais dans les rizières au pied de la montagne, je glane des épis abandonnés pour en tresser des offrandes sacrées aux dieux. Quand il fait très beau, je grimpe jusqu’au sommet de la montagne, et contemple de loin le ciel de ma patrie, la montagne de Kohata, le village de Fushimi, Toba, Hatsukashi. Les beaux paysages n’ayant pas de propriétaires, chacun peut sans contrainte se consoler en les contemplant. »

Kamo no Chômei, Notes de ma cabane de moine,
traduit par le Révérend Père Sauveur Candau, Le Bruit du temps, 2010


Encre de Kano Masanobu (XVe siècle)

Vide-poche : Georges Didi-Huberman


Dans Invention de l'hystérie, Georges Didi-Huberman aborde l’image comme un symptôme. Il ne veut interpréter l’image ni dans le sens du beau, ni dans le sens du vrai, mais dans le sens de sa matérialité, de sa présence physique, et de quoi celle-ci est le symptôme.
Là où il y a image, il y aurait donc maladie.
Corps, conscience, projection, maladie, vie, mort : 
image.


Le Caravage : David avec la tête de Goliath

Un film : César doit mourir, des frères Taviani

Leur monde, c’est un mélange de brutalité et d’honneur. Leurs dialectes rugueux sentent le peuple et les ancêtres. C’est une langue de vaincus et de violence mais une langue de vie, c’est de l’énergie brute qui circule dans les mots. Leur espace est mutilé par les murs et les grilles. Leur temps aussi. Un temps de murs et de grilles et de clés qui tournent bruyamment dans les portes blindées : dix, quinze, vingt ans de prison, toute une vie peut-être. Leur plus grand désir, c’est la liberté.

Alors quand ils jouent Jules César dans leur prison, ils comprennent tout naturellement de quoi ça parle : le meurtre, la violence, les réticences et les remords, le désir impérieux de liberté et l’idée de l’honneur – et la défaite à l’horizon, toujours. Alors le texte de Shakespeare semble avoir été écrit en sicilien ou en napolitain. Alors les lieux de pouvoir et de grandeur, les palais, le Sénat romain, deviennent une prison d’où l’on ne peut jamais s’échapper. Les mafieux minables trouvent en eux-mêmes une noblesse insoupçonnée. Et les grands de ce monde se révèlent aussi misérables que les petits truands sans avenir qu’ils sont aussi.


César doit mourir, des frères Taviani

Le sexe de la poésie

Le poème de Sylvia Plath (voir post précédent) me donne l’occasion de soulever un douloureux problème : celui des poètes femmes. Douloureux, oui. Surtout en France. Et surtout, évidemment, quand on est une femme. Pendant très longtemps, il ne m’est même pas venu à l’idée que je pouvais écrire des poèmes parce que pour moi, tout simplement, les femmes n’écrivaient pas de poèmes. Des romans, oui. De la poésie, non. Ce n’était évidemment pas une remarque que je m’étais faite consciemment (sinon j’aurais pu la combattre) ; c’était une évidence assimilée malgré moi, de l’ordre du lavage de cerveau en quelque sorte – comme tout ce qui concerne le statut des femmes dans la société, leur pseudo-nature, et la résignation qu’on nous enseigne (aux femmes) depuis le berceau – oui, même encore maintenant.

Alors, oui, je sais, la situation change : non seulement les femmes écrivent des poèmes mais on trouve désormais un bon nombre de femmes publiées, on trouve même quelques femmes officiellement reconnues en tant que poètes – pas autant que d’hommes, tout de même, il ne faut pas exagérer  –, on trouve même Valérie Rouzeau en couverture du Matricule des anges. Il n’empêche. Pour moi, l’absence d’une tradition poétique de langue française par les femmes est plus que douloureuse. Elle est intolérable.  Je me sens orpheline. C’est formidable d’avoir des contemporaines, mais je voudrais des ancêtres. Je n’en ai pas. Et j’ai du mal à comprendre pourquoi si peu de femmes poètes semblent évoquer la question alors qu’à moi, elle me semble si importante. 

Quels sont les grands poètes femmes de langue française depuis qu’on a quitté le 16e siècle, ce qui fait quand même un bout de temps, et Louise Labé ? (et je ne parle même pas du fait qu’il est de bon ton maintenant de dire que ce n’est pas une femme qui a écrit les poèmes de Louise Labé !) Je veux bien m’efforcer de sauver, pour la cause, Marceline Desbordes-Valmore par exemple, qui a quelques poèmes tout à fait réussis à son actif, mais au fond de moi, soyons honnête, je n’y crois pas : non, Marceline Desbordes-Valmore, paix à son âme, n’est pas un grand poète. C’est simple, il n’y en a pas. Et qu’on ne vienne pas me dire que l’important est la qualité du poète et non son sexe : le sexe, c’est loin d’être un détail, surtout quand on se trouve appartenir au « faible », au « deuxième ». (Je précise : ce n’est pas ici d’une éventuelle « écriture féminine » que je veux parler, mais bien, tout simplement, de poèmes écrits par ces individus que la société appelle des femmes – ces individus qui ont des seins et un vagin et n’ont pas de barbe ni de pénis).

C’est en partie la raison pour laquelle j’ai eu un tel choc quand j’ai lu Emily Dickinson pour la première fois : pas seulement parce que c’était extraordinaire, inouï, bouleversant, mais parce qu’en plus c’était une femme qui écrivait. Sylvia Plath a été une révélation du même ordre, un autre éblouissement. C’est dans le monde anglo-saxon que je me suis trouvé des ancêtres.


Helene Schjerfbeck, Autoportrait

Un film : "Oslo 31 août" de Joachim Trier

Il est beau. Il est intelligent. Il comprend. Il est encore jeune, ou pas encore vieux. Il a lu tous les livres, et la chair est triste, hélas. Il a de l’humour. Il comprend.
Il marche.
A Oslo, à la fin de l’été, une lumière magnifique baigne les rues, les parcs, et la nuit aussi semble posséder une luminosité particulière. Les gens sont beaux. Ils se parlent.
Ça pourrait donner envie de vivre, ça pourrait donner envie de mourir. C’est triste, ce n’est pas vraiment triste, c’est juste un manque. Tout le monde connaît ça.



Pourquoi la littérature ? (2)

Parce que la littérature se situe du côté de l’art, qui n’explique rien mais donne accès : à l’humain et, à travers lui, au monde.
Parce que c'est l’expression même de l’humanité.


Fresque de Pompéi (stylet, tablette et rouleau)

Pourquoi la littérature ?

Parce que la littérature ne se trompe jamais.

La science et la philosophie, qui se veulent une parole de vérité, sont aussi nécessairement, par contrecoup, une parole d’erreur et de mensonge. La lumière n’existe pas sans l’ombre, la vérité n’existe pas sans ses contraires. Tous les scientifiques, tous les philosophes se sont trompés – et très souvent ils ont menti, se sont mentis à eux-mêmes. La parole scientifique ou philosophique, quoique indéniablement porteuse de vérité, n’est jamais fiable.

La littérature, elle, n’a pas choisi la vérité. Elle n’a pas choisi non plus le mensonge. Les lecteurs savent bien qu’un poème est une construction qui échappe à la « vraie vie », qu’un roman ne raconte pas une « histoire vraie ». La littérature ne se veut pas une parole de vérité, elle se vit comme une parole amoureuse du langage, comme une histoire amoureuse de la vie. La littérature ne prétend pas refuser ou réfuter l’erreur ou la contradiction, elle l’absorbe et en fait un élément de son travail de transformation du langage. Elle se nourrit de l’ambiguïté, de l’insu, de l’incompris, de l’implicite. Elle se situe en dehors du dualisme insoluble de la vérité et de l’erreur et c’est pourquoi elle est salutaire et nécessaire.

La littérature ne se trompe jamais. Homère ne se trompait pas, pas plus que Toni Morrison aujourd’hui ne se trompe. Lisons-les.


Rembrandt, Philosophe en méditation

Une transformation

la poésie est un art, c'est-à-dire une transformation :
transformation de la matière en du spirituel

– matière : vie, et (pour la poésie) langage

– spirituel : faute de savoir nommer ce vers quoi tend l’art – car cela n’est pas – cela devient à chaque fois que l’art réussit – d’où le frisson, l’effusion éprouvée à la lecture du poème, chaque fois semble être une première fois – puis cela s’évanouit – c’est toujours à recommencer – comme l’amour – ou comme la création du monde


Giorgio Morandi, Natura morta

Un film: "Le Havre" de Aki Kaurismaki

Aki Kaurismaki : un photographe qui fait des films.
André Wilms : une statue antique un peu décrépite dans un bar PMU. Un visage qui fait tout passer sans presque rien faire.
Le Havre : du béton qui sait capter la lumière.
Le Havre, le film : un poème en images et en couleur – poème politique, conte de fées, poème d’amour.




Emotion


Je crois ceci : un poème est un produit de l’émotion et non de l’intelligence ; mais il y a plusieurs types d’émotion, comme il y a plusieurs types d’intelligence (utilisés au singulier comme on le fait d’habitude, ces deux mots ne veulent pratiquement rien dire).
L’émotion qui préside à la naissance d’un poème me paraît assez clairement identifiable. Ce n’est pas une émotion intellectuelle (celle qu’on éprouve en résolvant un problème mathématique difficile) ; ni une émotion esthétique (celle qu’on éprouve particulièrement devant une œuvre d’art, une musique) ; c’est spécifiquement une émotion qu’on pourrait qualifier de langagière.  L’émotion particulière éprouvée en entendant un mot qui, à l’improviste et sans raison apparente, frappe l’oreille ; ou en lisant tels mots assemblés ensemble et dont l’association semble soudain lumineuse. On pourrait dire bien sûr que ce type d’émotion relève aussi, et à la fois, de l’intellectuel et de l’esthétique. Il me semble malgré tout que c’est une expérience bien distincte. Je ne sais pas ce qu’en disent les spécialistes (car je suppose qu’il y en a).
Mais je sais que c’est ce qui me guide toujours, comme lectrice et comme autrice de poèmes.

Simone Martini, Annonciation(détail)

Sculpture ; sourire

Ce qui est beau dans la sculpture, c’est quand le bloc de pierre (de bois), tout en restant bloc de pierre, se met à sourire. Sourire égyptien, sourire de la Grèce archaïque, sourire des Bouddhas, sourire des vierges gothiques…
Alors la matière délivre.


Kouros au musée de l'Acropole, à Athènes

Ravenne

5e siècle de notre ère : Rome n’est plus à Rome, Rome n’a plus d’argent, le dernier empereur abdique. Le climat refroidit, Augustin d’Hippone marque les êtres du péché originel, une période de troubles et de destructions s’annonce.
A Ravenne les plus belles œuvres d’art que Rome ait jamais produites couvrent les murs sacrés des nouvelles églises.


 Mosaïque du mausolée de Galla Placidia, Ravenne

Surface


La photographie imprime une surface : il est fascinant de penser que rien n’est plus plat, en art, qu’une photographie. La seule image qui puisse rivaliser avec elle dans la mise à plat, c’est le texte : texte ou photographie, juste des bouts de papier. Toutefois le texte n’est image (et mise à plat) que secondairement. Un tableau a au moins la profondeur de la couche de peinture ; cela lui donne une épaisseur matérielle que l’art contemporain a d’ailleurs souvent cherché à souligner. Même le cinéma a une épaisseur que n’a pas la photographie : celle du temps de la narration – le temps n’est-il pas une matière ?

La photographie, c’est la mise à plat par excellence. Est-ce de là que vient la fascination qu’elle exerce ? Une photographie attrape immédiatement le regard et le retient sans effort. C’est vraiment l’autre côté du miroir : en face d’elle, il y a eu – il y a – tout un monde de matières mouvantes ; sur la surface en papier de la photographie, il n’y a plus que l’empreinte de lumière et d’ombre laissée par ces matières mouvantes. C’est presque à une disparition de la matière qu’on assiste – et en même temps, paradoxalement, à la preuve de son existence, ou au moins de son existence passée.

Bien sûr, « mise à plat » ou « superficialité » ne sauraient être ici des notions négatives : ce plat de la photographie contient toutes les profondeurs du monde (profondeur de champ), il contient aussi la profondeur de la rêverie qu’elle suscite.

Après l’explosion à Hiroshima, un photographe japonais, Eiichi Matsumoto, a pris la photo d’une porte sur laquelle s’était imprimée l’ombre d’un corps humain et d’une échelle, tous les deux désintégrés par la bombe, dématérialisés. (Cette photo est actuellement visible à la très belle exposition « L’ombre de la guerre » à la Maison européenne de la photographie, à Paris). Image de la photographie ultime, image de la fascination que la photographie exerce : la matière s’est transformée en ombre, le corps humain est devenu une surface imprimée, la mort est mise à plat, rendue visible. 


 Photo Eiichi Matsumoto

Lieux


Il me semble qu’écrire des poèmes en rapport (direct ou non) avec un lieu demande en général une connaissance approfondie, intime de ce lieu ; je ne pense pas que les poèmes écrits en voyage, de passage quelque part, inspirés par des séjours touristiques, soient bons, la plupart du temps. – Il y a bien sûr toujours des exceptions. – Même les poèmes de Nicolas Bouvier sur les lieux qu’il parcourt, par exemple (dans Le dedans et le dehors), ne sont pas vraiment convaincants, alors que sa prose sur le même sujet est exceptionnelle ; c’est même sans doute à l’intérieur de cette prose que se situent ses meilleurs poèmes. L’écriture poétique semble pouvoir émerger très difficilement d’un rapport trop superficiel au lieu. Il faut rester longtemps quelque part pour écrire un poème sur ce quelque part.

En cela, la poésie écrite diffère de la photographie, cette écriture poétique de l’image : car la photographie au contraire semble se nourrir du déplacement, du voyage, de l’impression fugitive. La photographie imprime une surface : il est logique qu’elle trouve sa matière dans le glissement sur la surface des lieux.

L’écriture poétique est en quelque sorte un complément de la photographie (ou l'inverse) : elle transcrit une profondeur. 


 Photo William Eggleston

Poésie dans le métro


Dans le métro parisien, depuis plusieurs années, on tombe régulièrement sur des bribes de poésie : affichées dans les trains à la place des publicités pour cours particulier ou pour magazines people ; gravées sur de petits médaillons incrustés dans le sol de la station Bibliothèque François Mitterrand (station d’intellos – peut-être y en a-t-il ailleurs) ; et lors du Printemps des poètes, s’étalant en grand sur les affiches XXL qui tapissent les murs voûtés de toutes les stations.

Les premières fois que j’ai vu cela, je me suis étonnée, réjouie, félicitée. Ça n’a pas duré. Rapidement, je suis retombée dans l’indifférence. Plus rapidement encore, dans la suspicion. A présent, je suis franchement hostile.

C’était pourtant sans doute une bonne idée au départ, en tout cas une idée intéressante, et qui partait d’une bonne intention. Mais inscrire des bouts épars de poésie, hors de tout contexte, sur des supports exclusivement réservés d’ordinaire à la publicité (hormis les médaillons de la BNF, qui ont le mérite de l’originalité), c’est transformer la poésie en publicité. L’horreur absolue.

Car soyons lucides : dans la bataille, ce n’est pas la poésie qui gagne. Ce n’est pas elle dont l’influence bénéfique et créative change notre regard sur la langue – et sur la publicité. C’est la publicité qui, dans sa toute-puissance, phagocyte illico les pauvres vers égarés au milieu de ses slogans. Et cela d’autant plus facilement que la publicité elle-même est créative et utilise de nombreux codes poétiques : rimes, allitérations, assonances, doubles sens…

Dès lors, entre un vers isolé (et creux, car décontextualisé et lu à la va-vite, entre deux trains), et dix slogans bien ficelés (et creux, car c’est le propre du slogan d’être creux et de vendre du vent), difficile de percevoir une vraie différence.

La poésie, comme tout art, demande du temps, de la lenteur, de la contemplation, une disponibilité d’esprit – toutes choses qui font cruellement défaut aux passagers des métros. Elle est difficile. Elle est – mais oui – précieuse. Dans un monde de brutes, ou dans un monde de slogans publicitaires, elle n’a aucune chance.


 Photo Walker Evans (New York Subway)



La traversée


Vous connaissez le bonheur particulier de se trouver à bord d’un bateau, d’un train, d’une voiture, en route pour quelque part – et peu importe pour où : on rentre chez soi, on va vers une destination inconnue, on part retrouver des amis, on commence un long voyage, on fait un rapide aller-retour… Sur le pont du bateau en plein dans le vent humide ; dans le train la tête appuyée contre la vitre ; dans la voiture à la place du mort, la meilleure ; dans le silence du mouvement – personne n’attend rien de nous, on a le droit de laisser venir, de laisser être. On se déplace sans bouger, on est déplacés, on passe. On peut dormir. On peut regarder. On peut se souvenir. On est dans le temps et l’espace de la traversée.
            Ce n’est pas de l’attente, ce n’est pas de l’action. Parfois cela ressemble à de la rêverie, à de la contemplation, à de l’ennui. L’expérience n’est pas toujours la même. Mais c’est toujours l’expérience d’être entre, et cet « être entre », ce n’est pas vraiment être – verbe flou, statisme absurde – ; c’est une expérience où « être » devient « passer », « traverser ».
             Cela ressemble à d’autres expériences étrangement mouvantes : en coulisses, juste avant d’entrer en scène jouer un personnage de théâtre, passer de soi à ce personnage. Dans un pays étranger, ou dans un cours de langue, découvrir pas à pas, mot à mot, une langue nouvelle, quand on s’est laissé régresser à ne plus savoir parler et qu’on réapprend, dans l’émerveillement incantatoire de chaque syllabe. Et puis aussi : écouter de la musique ; regarder une œuvre d’art ; lire un poème. Déplacement de l’esprit. Libération par le mouvement. On n’a plus à rester enfermer dans l’être, on est dans la traversée, en route pour quelque part.




James Whistler, The Lagoon, Venice: Nocturne in Blue and Silver