Cécile A. Holdban : le recueil "L’Eté"


De Cécile A. Holdban, j’ai d’abord connu l’activité picturale (étonnamment prolifique !). Sur Facebook, qui a parfois du bon, elle poste beaucoup de petits dessins et de petites peintures, souvent accompagnées de petits poèmes. Et c’est toujours surprenant, inventif, merveilleux… – non, je ne dirai pas poétique, malheureusement ce mot est devenu tellement galvaudé, utilisé pour tout et n’importe quoi, comme une sorte d’équivalent adulte de mignon, qu’il n’est plus possible de l’employer. Alors disons plutôt : lumineux.

Dans ses recueils de poésie, on retrouve le même ensoleillement, le même scintillement des mots. Peut-être tout particulièrement dans celui intitulé L’Eté, évidemment… Quelque chose illumine chaque poème, même si dès le premier « la nuit entre / goutte à goutte derrière mes yeux » avec le sentiment d’une « disparition » ; même si le lyrisme du recueil oscille entre d’un côté sensualité, exaltation, et de l’autre sentiment élégiaque. Si ce n’est le soleil, alors ce sont les étoiles qui donnent cet éclat : « et dans ma paume je garde / un peu d’eau et quelques étoiles ».

Parcourant des pays, parcourant des paysages et des visages, Cécile A. Holdban recrée chacun d’eux avec ses touches de couleur et de lumière particulières.

Les délicates illustrations de ce recueil sont de Bobi+Bobi.




OMA

A Rosalie Szén, Oma,
qui vécut entre trois langues et trois pays

Le lait a une peau
je la déchire de la
pointe du doigt
les fenêtres de ma mémoire
sont ainsi :
le raisin doux qui me valut
ma seule gifle
les poissons autour de mes chevilles
le chemin de la source à jamais inversé
la moustache de l’âne
et ma danse autour de ton cercueil
il faisait sombe là
où mes yeux te cherchaient.

Cécile A. Holdban, L’Eté, Al Manar, 2017






Vide-poche : Jean-Pierre Siméon


« […] le poème fomente, dans l’une de ses propriétés les plus constantes, l’acte de résistance le plus irréductible à la neutralisation de la langue telle qu’elle s’opère aujourd’hui : la métaphore. Là où la langue mutante obéit au principe absolu de l’accélération par troncation, siglaison, parataxe et nominalisation, la métaphore oppose le détour, donc le ralentissement qui seul autorise l’expansion du sens et sa lecture. La métaphore est longue en bouche, pourrait-on dire. La métaphore fait obstacle, retient le pas et exige qu’on demeure. C’est ainsi enfin qu’on habite sa langue et qu’on y décèle les accès jusque-là ignorés à la réalité. La langue mutante impose le droit chemin, elle clôt. La métaphore est un geste libertaire, elle déclôt. »


Jean-Pierre Siméon, La Poésie sauvera le monde, Le Passeur éditeur, 2015



J'émets une réserve : il faudrait dire "le poème occidental". Je ne connais à peu près rien aux poèmes d’Asie, mais le haïku japonais, au moins, semble fonctionner sur un autre principe que la métaphore (comme l’analyse Roland Barthes ici).

Autre réserve : je ne crois pas que « la neutralisation de la langue » s’opère aujourd’hui plus qu’hier. Elle s’opère différemment, sans doute, mais enfin on ne voit pas pourquoi il s’agirait d’un phénomène spécialement actuel. Qui domine doit chercher à « neutraliser la langue » afin de neutraliser la pensée (contestataire, libertaire, libre) ; qui est dominé trouve souvent confortable, facile, rassurant, d’utiliser une langue prémâchée. Servitude volontaire, si l’on veut.


Arnold Böcklin, L'Île des morts
 

Vide-poche : Kiki Dimoula

Elle était l’une des grandes voix de la poésie grecque contemporaine, elle s’est éteinte il y a quinze jours. Kiki Dimoula, dans un discours sur la poésie, a proposé cette image du poème (je m’essaie pour la première fois à la traduction de cette belle langue grecque que j’apprends non sans mal ni douleurs) :


« Tu marches dans un désert. Tu entends un oiseau chanter. Même s’il est très improbable qu’un oiseau soit ainsi en l'air dans le désert, toi, pourtant, tu es obligé de lui fabriquer un arbre. C’est cela le poème. »
Kiki Dimoula


“Βαδίζεις σε μιαν έρημο. Ακούς ένα πουλί να κελαηδάει. Όσο κι αν είναι απίθανο να εκκρεμεί ένα πουλί μέσα στην έρημο, ωστόσο εσύ είσαι υποχρεωμένος να του φτιάξεις ένα δέντρο. Αυτό είναι το ποίημα”.

Κική Δημουλά



Tableau d'Anselm Kiefer