"Serments"



serments


tous les serments d’amour
qu’il ne m’a pas faits
je les ai ramassés sans serrement
de mon cœur imparfait
petits sarments secs je les ai
fait brûler à grande eau
de cette eau-de-vie – amie – sers-m’en
ça me réchauffe le dos
et soûle je saurai mieux sûrement
carboniser les fragments
de ce pauvre amour défait




Eva Hesse, Spectres

Vide-poche : la philosophe Avital Ronell

Pour faire écho à la philosophe Catherine Malabou, les paroles d'une autre philosophe, l'Américaine Avital Ronell, qui parle elle aussi de la place des femmes en philosophie et dans la société.


"Je prends au sérieux ce que Hegel avait dit par exemple sur le non-lieu de la femme dans la communauté : il la désigne comme l’ennemi absolu de la communauté – mais aussi comme l’ironie éternelle de la communauté. Donc je me suis posé cette question : c’est quoi, incarner l’ironie éternelle de la communauté ? Comme il n’y a pas vraiment de lieu, de place ou d’accueil pour, disons provisoirement, une femme dans la philosophie, il fallait que je squatte et que je joue dans les fissures, les sites condamnés (…). Donc j’essaie d’investir les marges sans les laisser devenir des lieux de pouvoir ou de puissance."

Avital Ronell entendue dans Les nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture



Annette Messager, Chimères

Vide-poche : Catherine Malabou

La philosophe Catherine Malabou sur la possibilité ou l’impossibilité de « la femme » (sur les questions philosophiques concernant le « féminin » : « l’essence » du féminin versus sa déconstruction) dans son très stimulant essai Changer de différence :

« Il vient un temps (…) où on laisse derrière soi les modèles, masculins, féministes, ou autres. Où l’on abandonne aussi la question de l’autorité. On ne fait autorité que lorsqu’on décide de se moquer de l’autorité. C’est là sans doute la dernière étape de la formation, peut-être même de la vie. (…) Il faut partir seule, déplacer, rompre, dégager de nouveaux espaces, devenir possible, c’est-à-dire renoncer au pouvoir. Le pouvoir ne peut rien contre le possible. »


Catherine Malabou, Changer de différence, Galilée, 2009, p. 157-158



Cindy Sherman, Untitled Film Stills

Hommage aux revues (4) : Javier Vicedo Alós dans Poésie/première

Une découverte dans le dernier numéro de Poésie/première : le jeune poète espagnol Javier Vicedo Alós, né en 1985.


Distancias

Sóló una distancia es terrible : la distancia entre dos cuerpos. Esos escasos centímentros que nos separan de los bultos anónimos en las calles, las tiendas, las oficinas, los cafés o nuestra propia cama. Qué cerca su pulso y el mío, su hambre antigua y mis manos de pan, y qué lejanía sin embargo, qué tupida alambrada de aire.


Distances

Seule une distance est terrible : la distance entre deux corps. Ces quelques centimères qui nous séparent des formes anonymes dans les rues, les magasins, les bureaux, les cafés ou notre propre lit. Si proche son pouls du mien, sa faim ancienne et mes mains de pain, et si loin cependant, quelle épaisseur de barbelés dans l’air.


Traduit par Edouard Pons, Poésie/première n° 59, septembre 2014.


Alberto Giacometti photographié (avec ses oeuvres) par Gordon Parks

"Mariage"

Trois de mes poèmes sont parus dans le dernier numéro (le 59) du poézine Traction-Brabant, toujours aussi imperturbablement foutraque, qui vient d'être envoyé à ses fidèles abonnés. Voici l'un d'eux.



mariage

je fais alliance pour vivre avec toi        
parce qu’un corps tout seul c’est trop froid
(c’est ton corps que je choisis
et c’est mon corps que tu choisis
nous nous réchaufferons)       
parce que des yeux sans yeux
en face d’eux c’est trop vide
(nous nous regarderons)
parce qu’une langue muette c’est trop bête
parce qu’il faut être deux pour parler
(nous nous raconterons)
je fais alliance pour vivre avec toi parce que tu es libre et moi aussi


Constantin Brancusi, Le baiser