Une lecture : Linda Maria Baros, "L’Autoroute A4 et autres poèmes"


N’hésitez pas à coller vos cuisses à celles de la motarde Linda Maria Baros si vous décidez de monter derrière elle pour sillonner son autoroute A4. C’est que ça secoue pas mal dans ce recueil vraiment hors du commun.

Du « labyrinthe » de la grande ville aux « banlieues effrontées » et à la périphérie autoroutière, des « légendes urbaines » à la « puissante décharge électrique » de l’asphalte, elle promène son regard punk et sa langue qui électrocute. Que cherche-t-elle dans tous ces labyrinthes ? On sait en tout cas ce qu’elle trouve : violence, énergie, sexe, amour, vitesse, combustion, sang et mort. Et aussi, bien sûr, des poèmes : « Sur l’autoroute A4, / le motard écrit de longs poèmes d’amour ». Car tous les labyrinthes parcourus sont autant de « pelotes » de vers dont elle déroule le fil acéré.

C’est que l’autoroute de Linda Maria Baros est avant tout métapoétique. Elle explique ainsi sur son site internet : « Lorsque j’écris, j’emprunte toujours, il va de soi, l’autoroute A4. Cette page format A4 – underground textuel, underground intime – que j’ai longtemps sillonnée en compagnie des motards, globe-trotters dépendants de la vitesse, qui se laissent toujours prendre au piège du labyrinthe poétique, entre le macadam et le ciel. »

Au terme de ce court recueil, l’autoroute A4 la conduit à son père, à ses origines. La figure génitrice reste cependant lointaine, inaccessible : « Mon père se trouve quelque part, au loin, dans le grand large — je le vois à peine ». En suivant ce père énigmatique, la poète arrive dans une sorte de périphérie ultime : « Il ne se rend que rarement dans la grande ville. / Il y cherche une sorte d’autoroute / qui traverse les profondeurs de la terre / et qui, comme une langue, dit-il, pend accrochée aux roues ». C’est la fin du macadam, la sortie du labyrinthe, la rentrée sous terre. La dernière image de ce recueil, qui en crée beaucoup de très fortes, est celle d’un énorme trou, comme « un énorme haut-parleur » mais dans lequel on n’entend plus rien.



Graffiti

Sur la terrasse du motel, parmi les collines,
            cogne le vin rouge, il n’a aucune pitié.
Dans les vignes, des crânes de cheval, bleuâtres,
            brillent, plantés sur les pieux.

Le soir descend soudain sur le monde.
            Comme si, au loin,
                        à l’autre bout de l’autoroute,
            un motard qui roulait follement
            s’était cogné contre le mur blanchâtre de l’horizon,
                        en l’empourprant.


Linda Maria Baros, L’Autoroute A4 et autres poèmes, Cheyne éditeur, 2009



Tableau de Maria Helena Vieira da Silva

Vide-poche : le poète Jacques Ancet

« Avant d’écrire je n’ai rien à dire… Le poème est simplement une force de langage, une force de vie. Un passage de vie. Le seul message serait ce passage de vie, comme si on serrait la main de quelqu’un. »

*

« La poésie s’adresse au corps ».

Propos de Jacques Ancet rapportés dans le dernier numéro de Poésie/Première 
(n° 62, septembre 2015).

© Imran Qureshi

Vide-poche: le philosophe Etienne Tassin


Il faut que je le dise : sans Adèle Van Reeth – l’intelligence, l’humour, l’irrévérence enjouée d’Adèle Van Reeth – et son émission Les Nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture, la vie serait un peu moins intéressante. Ben oui : je suis une fan.
L’autre jour, c’était le philosophe Etienne Tassin qui offrait chez elle un développement passionnant sur la langue, l’identité nationale, les frontières et la traduction. Allez, je retranscris :


« Zweig rappelle qu’en réalité, la langue doit se comprendre aussi comme ce qui lui permet de se battre contre ‘l’auto-glorification du nationalisme’. C’est-à-dire que la langue n’est pas le support d’une identité nationale dans laquelle tout à coup l’esprit d’un peuple se retrouverait, non ; la langue est quelque chose qui excède absolument cela. Et c’est pour cela, dit-il, qu’en se battant dans notre langue, et en défendant notre langue, nous nous battons aussi non seulement pour notre liberté, mais pour la liberté de tous les hommes, de tous les peuples et de l’humanité toute entière. (…) Ce qui est intéressant, c’est que cette langue-là ne connaît pas de frontière, ou plutôt elle ne connaît que des frontières, et pas de mur. Parce que toute langue est traductible. (…) Je peux passer d’une langue à l’autre. Et donc dans la langue, il y a à la fois la plus grande singularité de mon rapport au monde, et la plus grande capacité de sortir de cette singularité et d’être en véritable échange avec d’autres singularités.
Au fond, une frontière, ce n’est pas une limite qui sépare des Etats et qui rend impossible le passage de l’un à l’autre, c’est exactement le contraire : la définition d’une frontière, c’est que c’est une porte. C’est une porte de passage. Et les langues sont de multiples frontières : à la fois elles nous tiennent à distance et à la fois, par leur traductibilité, elles rendent possible que nous soyons toujours en échange les uns avec les autres. »

Etienne Tassin dans Les Nouveaux chemins de la connaissance
sur France Culture, le 25/09/2015

La tour de Babel, fresque romane de l'abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe