Le poème de Sylvia Plath (voir post précédent) me donne
l’occasion de soulever un douloureux problème : celui des poètes femmes.
Douloureux, oui. Surtout en France. Et surtout, évidemment, quand on est une
femme. Pendant très longtemps, il ne m’est même pas venu à l’idée que je
pouvais écrire des poèmes parce que pour moi, tout simplement, les femmes
n’écrivaient pas de poèmes. Des romans, oui. De la poésie, non. Ce n’était
évidemment pas une remarque que je m’étais faite consciemment (sinon j’aurais
pu la combattre) ; c’était une évidence assimilée malgré moi, de l’ordre
du lavage de cerveau en quelque sorte – comme tout ce qui concerne le statut
des femmes dans la société, leur pseudo-nature, et la résignation qu’on nous
enseigne (aux femmes) depuis le berceau – oui, même encore maintenant.
Alors, oui, je sais, la situation change : non
seulement les femmes écrivent des poèmes mais on trouve désormais un bon nombre
de femmes publiées, on trouve même quelques femmes officiellement reconnues en
tant que poètes – pas autant que d’hommes, tout de même, il ne faut pas
exagérer –, on trouve même Valérie
Rouzeau en couverture du Matricule des anges. Il n’empêche. Pour moi, l’absence d’une tradition poétique de langue
française par les femmes est plus que douloureuse. Elle est intolérable. Je me
sens orpheline. C’est formidable d’avoir des contemporaines, mais je voudrais
des ancêtres. Je n’en ai pas. Et j’ai du mal à comprendre pourquoi si peu de
femmes poètes semblent évoquer la question alors qu’à moi, elle me semble si
importante.
Quels sont les grands poètes femmes de langue française
depuis qu’on a quitté le 16e siècle, ce qui fait quand même un bout
de temps, et Louise Labé ? (et je ne parle même pas du fait qu’il est de
bon ton maintenant de dire que ce n’est pas une femme qui a écrit les poèmes de
Louise Labé !) Je veux bien m’efforcer de sauver, pour la cause, Marceline
Desbordes-Valmore par exemple, qui a quelques poèmes tout à fait réussis à son
actif, mais au fond de moi, soyons honnête, je n’y crois pas : non,
Marceline Desbordes-Valmore, paix à son âme, n’est pas un grand poète. C’est
simple, il n’y en a pas. Et qu’on ne vienne pas me dire que l’important est la
qualité du poète et non son sexe : le sexe, c’est loin d’être un détail,
surtout quand on se trouve appartenir au « faible », au
« deuxième ». (Je précise : ce n’est pas ici d’une éventuelle
« écriture féminine » que je veux parler, mais bien, tout simplement,
de poèmes écrits par ces individus que la société appelle des femmes – ces
individus qui ont des seins et un vagin et n’ont pas de barbe ni de pénis).
C’est en partie la raison pour laquelle j’ai eu un tel choc
quand j’ai lu Emily Dickinson pour la première fois : pas seulement parce
que c’était extraordinaire, inouï, bouleversant, mais parce qu’en plus c’était
une femme qui écrivait. Sylvia Plath a été
une révélation du même ordre, un autre éblouissement. C’est dans le monde
anglo-saxon que je me suis trouvé des ancêtres.
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Helene Schjerfbeck, Autoportrait |