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Fabrice Farre : le recueil "Loin le seuil"

Remarquable recueil que cet opus de Fabrice Farre, Loin le seuil, qui date déjà de 2017 (je prends du retard dans mes lectures !). Il est publié aux éditions La Crypte et accompagné d’illustrations (des « poeysages ») d’Anael Chadli. J’en donne une note de lecture ce mois-ci dans le numéro 72 de Poésie/première, que je reproduis à peu près ici :

Le livre n’est pas long, mais il faut du temps pour le lire, parce qu’on s’arrête à chaque poème : chaque poème suscite une pause méditative. C’est toujours un très bon signe en poésie. On éprouve à chaque nouvelle page un étonnement délicat devant l’éclosion d’une atmosphère, le surgissement d’une énigme fuyante, mais qui persiste.

Ce qui domine, dans les thèmes comme dans l’écriture – et dans la lecture – c’est une sensation d’étrangeté. Les lieux sont à la fois familiers et étrangers, souvent vagues (la maison, le train), mais quelques lignes suffisent à nous donner l’impression d’y être. Ou plutôt d’y être presque, d’y parvenir sans y rester, d’y flotter sur le seuil : « J’ai toujours trouvé le seuil devant une porte (ou aucune) comme un moment suspendu, avant que n’arrive rien, sauf celui qui s’aperçoit, perdu sur la pierre haute lorsqu’il me rejoint ». Le sujet poétique, souvent un « nous » indéterminé, parfois un « je », transmet une expérience de l’écart, de la difficulté à coïncider, comme une sorte d’exil à la maison, de dépaysement chez soi : « Dans l’air, le je prend masse soudain et se retire comme une troisième personne ». Une expérience, en somme, qui pourrait correspondre à ce qu’est la poésie.

Fabrice Farre a le don des images doucement surprenantes, en rien spectaculaires – ce n’est pas du tout le style de la maison – mais qui impressionnent de façon durable et qui restent longtemps dans les yeux et l’esprit.




Saison

Il pleut
ma chemise sèche
ici je n’ai jamais été aussi
étranger – je fais les cent pas,
le mur est mince appuyé au-dehors,
étranger à ce vêtement transparent
qui revient à lui, où mon absence
m’empêche de croire celui qui s’observe
dans cette minute intérieure.

Fabrice Farre, Loin le seuil, La Crypte, 2017

Photographie de Jungjin Lee

Le recueil de Fabrice Farre "Le chasseur immobile"


Ça commence par quatre vers magnifiques de Federico Garcia Lorca en épigraphe – que je ne peux pas résister au plaisir de citer ici :
Jaca negra, luna grande,
y aceitunas en mi alforja.
Aunque sepa los caminos,
yo nunca llegaré a Córdoba.

Lune grande, jument noire,
olives dans mon bissac.
J’ai beau connaître la route,
je n’atteindrai jamais Cordoue.

Le « chasseur immobile » de Fabrice Farre lui non plus n’atteindra jamais Cordoue. Mais sa route à lui ressemble plutôt aux rues des villes modernes. C’est une route ponctuée de poèmes courts en vers libres, chacun avec son titre, chacun avec son image, sa présence, son désir. On sait d’avance que cette route ne mène à aucune destination nommable (« La fin d’une route conduit / toujours en dehors du monde »). Raison de plus pour accorder une attention particulière au présent, au « hic », au quotidien, et d’atteindre à défaut de Cordoue une certaine forme de sagesse, peut-être : « là-bas les dernières paroles au débit irrégulier / révèlent l’état du chéneau dans la cour / visité par le quotidien non potable qui fuit ».

Poésie désabusée mais pas désenchantée, « immobile » mais nullement figée, qui débusque partout une forme de lyrisme mélancolique – métaphore, association surréaliste –, dans la chambre ou dans la rue, jusqu’à l’intérieur de la poche où la main roule un petit caillou.


Désir

Quand on passe, les chevaux rallongent
leur cou, on voudrait leur donner
du pain, mais on hésite. On
garde les mains dans nos poches.
Ils sont habitués par les présences
qui errent aux lucarnes de leurs yeux
le long des écuries. Ils s’étirent
et se déforment. Du vent
serait issu un cavalier possible.
Le désir désarçonné n’aurait-il plus de mains.


Le chasseur immobile a été publié en 2014 aux toutes jeunes éditions Le Citron Gare, et illustré par de très belles images de Sophie Brassart.


© Sophie Brassart