Un poème de Niki-Rebecca Papagheorghiou


Mes père et mère sont toujours en vie. Mais papa et maman où peuvent-ils bien être ? Les jeunes filles que je fus habitent une ère boisée, une villégiature passée, une patrie dans l’époque où je ne puis revenir. Un temps adverse m’attire au large. Fronts de mer et jardins s’éloignent. Je vieillis, m’expatrie.



C’est le premier poème de Niki-Rebecca Papagheorghiou que l’on peut lire dans Le Grand fourmilier. Petites proses, publié aux éditions Cheyne ; il est cité dans l’excellente préface. Il ne fait pas partie de ce recueil mais d’un autre plus ancien. Ça donne envie d’en lire d’autres – d’autres poèmes, d’autres recueils, non ? D’en savoir plus sur cette mystérieuse poète grecque, disparue en 2000. Merci à Evanghelia Stead qui l’a traduite en français.

Niki-Rebecca Papagheorghiou, Le Grand fourmilier. Petites proses,
traduit du grec par Evanghelia Stead, Cheyne, 2017


Estampe © Tiina Kivinen


Carl Rakosi : "Amulette"

Carl Rakosi (1903-2004) est un poète américain associé au groupe des poètes objectivistes. Les éditions La Barque viennent de publier son premier recueil traduit en français, Amulette : on peut lire ma note de lecture sur ce recueil dans le numéro d’Europe de ce mois-ci (jan-fév. 2019, n° 1077-1078).

Le meilleur dans le livre, c’est sans doute un entretien avec le poète que les éditions ont reproduit à la fin du volume, et qui avait déjà été publié dans Europe, justement. Non seulement c’est fin et c’est intelligent, mais surtout, j’ai rarement vu un poète qui prenait aussi peu la pose pour parler de son travail. Carl Rakosi ne joue ni au prophète, ni au créateur douloureux, ni au cynique, il ne joue à rien, il ne se la joue absolument pas, il dit les choses comme elles sont, très simplement et honnêtement ; et on se rend compte en le lisant à quel point cela est rare. – Pourquoi avoir intégré tel poème au recueil ? Parce que sinon je n’avais pas un nombre suffisant de textes, mais c’est vrai qu’il est creux. – Que veulent dire ces deux vers assez obscurs ? Je ne peux pas dire, je ne sais plus à quoi je faisais référence. – Et quand il pense avoir fait un bon poème, il le dit et l’explique avec la même candeur.

Ça tombe bien, une telle honnêteté sans fard, parce que l’exigence première selon Rakosi pour qui veut écrire de la poésie, c’est l’intégrité. J'ai un peu le même credo que lui à ce sujet :

« Ce qui est important est que soit préservée l’intégrité du sujet aussi bien que de l’objet. C’est-à-dire, je respecte le monde extérieur – il contient beaucoup de choses qui sont belles si vous les regardez attentivement. Je ne veux pas contaminer cela ; cela a son être propre ; sa propre beauté et son intérêt propre ne doivent pas être corrompus ou déformés. Mais le poète a aussi son être propre. […] Il est extrêmement difficile de représenter le sujet, l’objet qui a été la cause de votre expérience, dans son intégrité – et vous, qui en faites le portrait, dans votre pleine intégrité aussi. »

Ça ne suffit pas, bien sûr, mais j’en suis persuadée : quand on veut écrire un poème, avant toute chose, avant même le travail de la langue, ce qu’il faut, c’est cette intégrité-là.

Carl Rakosi, Amulette, traduction de l’américain par Philippe Blanchon accompagné d’Olivier Gallon, éditions La Barque, 2018


Alice Neel, Two Puerto Rican Boys