Initiation en cours à un certain type d’étranger, d’étrangeté. —
La plupart des ouvrages
de littérature japonaise me font le même effet. Quand j’ouvre le livre, je
rentre dedans avec une facilité qui me déconcerte et me déçoit : c’est
tout ? Rien de spécial a priori. Rien que d’assez banal. Du fade – comme
on le dit aussi de la cuisine japonaise.
Et puis je continue à
lire et avant même de m’en rendre compte, avant d’avoir compris comment et
pourquoi, je suis charmée (exactement comme par la cuisine japonaise). C’est
moins un envoûtement qu’un apaisement, une sensation de bien-être. Pourtant je
n’ai pas remarqué de changement spectaculaire dans l’écriture ; mais ce
qui me semblait fade au début prend à présent une saveur dont je ne me lasse
pas. Je lis, je suis bien. Et j’ai du mal à analyser pourquoi.
Les Notes de ma cabane de moine de Kamo no Chômei, par exemple, écrites
au xiiie siècle : ce sont des
considérations assez peu originales sur la solitude et le retrait du monde. Il
ne s’y passe rien (si, une série de catastrophes au début). On n’a pas de grandes
révélations mystiques. Prières, promenades, et pas grand-chose d’autre. Moi, je
suis charmée.
« Tantôt je cueille
des pousses de roseaux, ou des fruits de laurier sauvage, je ramasse des
ignames, ou du cresson. Tantôt je vais dans les rizières au pied de la
montagne, je glane des épis abandonnés pour en tresser des offrandes sacrées
aux dieux. Quand il fait très beau, je grimpe jusqu’au sommet de la montagne, et
contemple de loin le ciel de ma patrie, la montagne de Kohata, le village de
Fushimi, Toba, Hatsukashi. Les beaux paysages n’ayant pas de propriétaires, chacun
peut sans contrainte se consoler en les contemplant. »
Kamo no Chômei, Notes de ma cabane de
moine,
traduit par le Révérend Père Sauveur Candau, Le Bruit du temps, 2010
Encre de Kano Masanobu (XVe siècle) |