Mais pourquoi je ne l’avais pas lu avant, Pierre Peuchmaurd ? On ne peut pas tout lire. Mais pourquoi les
gens (ceux qui s’y connaissent) n’en parlent pas plus, n’insistent pas plus
pour dire « Lisez-le ! » ? Vu qu’on ne peut pas tout
lire et que si les gens (ceux qui s’y connaissent) n’insistent pas assez, eh
bien on se dit qu’on va lire plutôt autre chose.
En tout cas moi, Murièle
Camac, j’insiste : lisez-le ! – si vous ne l’avez pas déjà fait.
Si vous avez été plus maline et rapide que moi, bravo.
Les poèmes du Secret de ma jeunesse sont courts et
pleins d’horizons inattendus qui s’ouvrent à chaque vers. Dire qu’ils relèvent
d’un certain surréalisme serait correct mais réducteur, car jamais ils
n’oublient le réel. Peuchmaurd ne cherche pas une réalité autre, il déverrouille
la vie et la déploie à l’intérieur de quelques rares mots qui portent. On la
reconnaît : c’est elle ! c’est la vie.
Un exemple de pourquoi il
faut le lire, avec deux vers tirés du poème « printemps » : « J’allais
meuglant, des crics / dans le gosier, au printemps ». Pourquoi ces deux vers me
ravissent ? Mon premier mouvement, dans le contexte, était de lire
« cris » – « des cris dans le gosier » – ce qui serait
logique, mais ennuyeux : bof. Mais l’auteur ne m'a fait craindre
le pire (l’ennui de lire le mot « cris » ici) que pour mieux me saisir
par un mot qui à la fois ne colle pas du tout et est exactement celui qu’il
faut, « crics ». Ce sont des « crics » qu’il a dans le
gosier, des cris qui n’arrivent pas à percer (trop excité) et s’arrêtent à un crissement,
des « cric-cric » de criquet au printemps, des meuglements de
sauterelle, tout un univers de cris inattendus, jamais entendus auparavant. Ce
sont des outils à soulever qu’il a dans le gosier : des mots, de vrais mots
de poème, qui me soulèvent. M'enlèvent, me ravissent.
Même si la fin du poème remet
les choses à plat : « Rien à soulever, les crics ». Et c'est ce qui me va, aussi.
les déjeuners sur l’herbe
[…]
On déjeunait d’olives et
de sentiments
à l’ombre d’un vieux
rocher
et tu te demandais
s’il existait de jeunes
rochers
Je ne savais pas je ne
savais pas
je regardais ta bouche te
poser des questions
à voix haute, dans l’été
Il y avait bien des rats
des requins des retours
dans des rais de lumière
mais ça ne comptait pas
On avait soif aux fontaines
faim juste avant la
chasse
et le plaisir
coulait de sources
inversées,
librement inversées
[…]
Pierre Peuchmaurd, Le Secret de ma
jeunesse, éditions Pierre Mainard, 2019
© Pipilotti Rist, The tender room |