Récemment, à l’occasion
de l’exposition Apollinaire à l’Orangerie, j’ai lu pour la
première fois le calligramme « Il pleut » dudit Apollinaire. Enfin bon,
non, évidemment, ce n’était pas la première fois que je le lisais, mais c’était
la première fois que je le lisais. C’est-à-dire
qu’avant, conformément d’ailleurs (je suppose) à la volonté de son auteur, je
l’avais surtout regardé. J’avais vu les
mots qui se rapportaient à la pluie, j’avais vu la correspondance entre le texte
et le dessin, j’avais déchiffré l’ensemble du texte mais avec difficulté et en
m’arrêtant surtout sur les mots qui illustraient le dessin (« il pleut, il pleut, gouttelettes, il pleut »), et qui ne sont pas certes les plus
intéressants.
Il faut dire que dans
l’édition Poésie/Gallimard des Calligrammes
que tout le monde a et qui est aussi la mienne, la police est toute petite, les
caractères minuscules pour pouvoir former le dessin, et la lecture en est
d’autant plus laborieuse.
Là, dans l’exposition, le
calligramme reproduit en grand était beaucoup plus lisible et pour la première
fois, je l’ai vraiment lu, comme un texte et non comme un dessin. Et je me suis
rendu compte – quoi d’étonnant – que c’était un texte superbe :
Il
pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir
C'est vous aussi qu'il pleut merveilleuses rencontres de ma vie ô gouttelettes
Et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout un univers de villes
auriculaires
Écoute s'il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne
musique
Ecoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas
C’est un texte superbe,
du Apollinaire en grande forme, et je ne m’en étais jamais rendu compte parce
que j’avais toujours été obnubilée par son aspect de dessin.
J’ai d’ailleurs toujours
eu de la difficulté avec les autres poèmes du même recueil qui sont présentés
ainsi sous forme de dessin. Aucun ne m’a réellement marquée. C'est que les dessins ne relèvent pas (désolée
Guillaume) du grand art (« Il pleut » est sans doute le plus réussi
visuellement), et les textes, quant à eux, disparaissent sous le dessin.
Tout ça pour dire que si
les recherches sur une mise en valeur visuelle de la poésie me paraissent
évidemment intéressantes, je me demande dans quelle mesure elles sont
viables : dans quelle mesure un texte – un tissu de mots tenus par une
syntaxe – peut rester lisible lorsqu’il n’est plus présenté sous cette forme de
tissu qui est sa raison d’être. Une « poésie visuelle » implique sans
doute alors, comme l’ont fait Ilse et Pierre Garnier par la suite, de renoncer
au texte : mettre en dessin des mots isolés, comme des fils débobinés, et
non plus un tissu de mots.
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Eugène Boudin, Ciel pommelé |