Regarder...


Ce blog n’est pas a priori destiné à l’autopromotion (enfin, soyons honnête : si, au départ, c’était un peu beaucoup l’idée. Mais je me serais ennuyée de moi-même. J’ai préféré dévier un peu de mon cap). Cependant quand Claude Vercey me fait le cadeau d’une aussi belle recension  que celle qu’on peut lire cette semaine sur le site de Décharge à propos de mon recueil Regarder vivre, il faut bien que je m’en vante un peu : allez donc voir de ma part l’I.D 669 et son Complément !

Et pour rendre la chose un peu plus consistante, une réflexion et un bout de poème en réponse à cette remarque intéressante de Claude Vercey sur mon choix de titre Regarder vivre : « Plus on avance dans le livre, dit-il, plus on s’étonne d’un titre qui paraît vouloir réduire la narratrice à un rôle passif ».

Je trouve la remarque intéressante parce que, pour moi, regarder n’a rien de passif – pas plus qu’écouter. Je considère que ce sont même deux occupations assez fatigantes quand on veut les faire bien. Cela implique une présence, une participation : un peu comme la lecture, aussi. Je ferais volontiers de ces « passivités » le pendant indispensable de cette « activité » plus manifeste qu’est l’écriture. Walt Whitman, ce flâneur, se présente lui-même comme un grand regardeur ; et il n’est pas le pire des modèles à suivre :

Je flâne, j’invite mon âme à la flânerie,
Flânant, m’incline sur une tige d’herbe d’été que j’observe à loisir.
(…) Celui que je suis est toujours à l’écart de la mêlée,
Regarde d’un air amusé, éprouve de la connivence, de la compassion, ne fait rien, se solidarise,
Méprise de toute sa hauteur, se raidit, s’accoude sur le premier support ferme venu,
Tourne son profil de trois quarts, curieux de voir la suite,
A la fois dans le jeu et hors du jeu, simultanément, qu’il contemple avec stupeur.
(…) Je ne critique ni ne moque personne, je suis un témoin impassible.


I loafe and invite my soul,
I lean and loafe at my ease observing a spear of summer grass. (…)
Apart from the pulling and hauling stands what I am,
Stands amused, complacent, compassionating, idle, unitary,
Looks down, is erect, or bends an arm on an impalpable certain rest,
Looking with side-curved head curious what will come next,
Both in and out of the game and watching and wondering at it.
(…) I have no mockings or arguments, I witness and wait.


Walt Whitman, « Song of Myself », in Leaves of Grass.
Traduction de Jacques Darras : « Chanson de moi-même »,
in Feuilles d’herbe, Poésie Gallimard, 2002


Photo J.-H. Lartigue : Mary Belewsky, Cap d'Antibes

4 commentaires:

  1. marie-brigitte ruel24 janvier 2017 à 15:48

    Titre curieux et paradoxal , en effet. Regarder n'est pas voir et je partage tout à fait votre point de vue. D'ailleurs, je pense au regard de l'enfant au cours de sa première année, ce regard si avide, si touchant , témoin de tout ce qui se passe autour de lui, il contemple, s'étonne, décrypte et enregistre. Puis un beau jour, il parle. D'où lui vient ce savoir si ce n'est grâce à la somme de données qu'il a captées , assimilées et qu'il reprend à son compte? Ce regard à la fois innocent et avide, le poète le conserve intact , il le projette dans le poème et c'est tout un art de réussir à le transmettre...

    Marie-Brigitte Ruel

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    1. "L'oeil écoute" (pour citer un très beau titre de Claudel)...

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  2. "L'oeil bande" (bon c'est facile, mais n'ai pas pu m'en empêcher :)
    Sinon, tout à fait d'accord avec ton propos

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    1. J'y avais pensé bien sûr mais j'attendais ton intervention hé hé...

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