Ce n’est pas tous les
jours qu’un ouvrage bouleverse votre façon de considérer les choses et le
monde. La vie des plantes, passionnant
essai du philosophe Emanuele Coccia, réussit cet exploit. Son auteur part du
point de vue des plantes, les grandes oubliées de la réflexion philosophique :
du point de vue des feuilles, des racines, des fleurs. Du corps immobile des
plantes, entièrement exposé au monde — « corps qui privilégie la surface
au volume » pour mieux absorber le monde et être absorbé par lui.
Le monde, c’est le
mélange, dit Emanuele Coccia, qui sous-titre son essai « Une métaphysique
du mélange ». La vie, la pensée, c’est le mélange. Et c’est au corps
alchimique des plantes qu’on doit la possibilité du mélange sur terre. Le corps
des plantes vit, sent, pense, crée ; et grâce à elles, nous aussi.
En lisant
Emanuele Coccia, on se dit que ce n’est pas un hasard si
les fleurs sont un topos de l’écriture poétique ; et on comprend mieux pourquoi.
« Grâce aux fleurs,
la vie végétale devient le lieu d’une explosion inédite de couleurs et de
formes, et de conquête du domaine des apparences. […] Les formes et les
apparences ne doivent pas communiquer du sens ou du contenu, elles doivent
mettre en communication des êtres différents. »
« La raison est une
fleur. […] La fleur est la forme paradigmatique de la rationalité :
penser, c’est toujours s’investir dans la sphère des apparences, non pour en
exprimer une intériorité cachée, ni pour parler, dire quelque chose, mais pour
mettre en communication des êtres différents. »
N’est-ce pas aussi la
raison d’être de la poésie ? Non pas dire quelque chose, mais mettre
en communication des êtres différents.
Emanuele Coccia, La vie des plantes.
Une métaphysique du mélange,
Bibliothèque rivages, 2016
© Christine Rebet, Mystic River |