Du Japon, à nouveau, un
extrait du magnifique Eloge de l’ombre
de Tanizaki Junichirô (1886-1965). L’auteur rêvasse à bâtons rompus sur l’idée
du beau au Japon par rapport à l’Occident, avec une légerèté et un humour qui n’empêchent
pas une grande profondeur. Il parle de calorifères, de ventilateurs, de lieux
d’aisance, de bols de soupe, aussi bien que de peinture et d’architecture. En
même pas cent pages, on sent le Japon comme si on y était.
A propos du toko no ma, ce renfoncement dans les
pièces de séjour japonaises qui est uniquement destiné à être orné d'une peinture
et d’un vase de fleurs :
« Chaque fois que je
regarde un toko no ma, ce chef-d’œuvre
du raffinement, je suis émerveillé de constater à quel point les Japonais ont
pénétré les mystères de l’ombre, et avec quelle ingéniosité ils ont su utiliser
les jeux d’ombre et de lumière. Et cela sans recherche particulière en vue de
tel effet précis. En un mot, sans autre moyen que du bois sans apprêt et des
murs nus, l’on a ménagé un espace en retrait, où les rayons lumineux que l’on y
laisse pénétrer engendrent de ci, de là, des recoins vaguement obscurs. Et
pourtant, en contemplant les ténèbres tapies derrière la poutre supérieure, à
l’entour d’un vase à fleurs, sous une étagère, et tout en sachant que ce ne sont
que des ombres insignifiantes, nous éprouvons le sentiment que l’air à ces
endroits-là renferme une épaisseur de silence, qu’une sérénité éternellement
inaltérable règne sur cette obscurité. Tout compte fait, quand les Occidentaux
parlent de «mystères de l’Orient», il est bien possible qu’ils entendent par là
ce calme un peu inquiétant que secrète l’ombre lorsqu’elle possède cette
qualité-là. »
Tanizaki Junichirô, Eloge de l’ombre,
traduction de René Sieffert, Verdier, 2011