François Jacqmin : le recueil "Traité de la poussière"


Je ne connaissais pas du tout François Jacqmin, décédé en 1992 ; c’est une amie qui m’a aimablement offert ce recueil Traité de la poussière paru au Cadran ligné.

A priori, des textes qui prennent « l’être » pour thème, je ne reste pas. Même si le titre – Traité de la poussière – me plaît. « L’être », je n’ai jamais compris ce que ça voulait dire exactement, et je ne parviens pas à m’intéresser au sujet. En fait, je crois qu’il m’a toujours semblé – même si je ne me le formule ainsi qu’aujourd’hui, à l’occasion de ce billet – que substantiver ainsi ce pauvre verbe être était un cas typique de « grandiloquence » au sens où l’entend Clément Rosset (quand « c’est le mot qui décide du vrai, en lieu et place du réel qu’il représente souverainement et sans appel » ; Le Réel, Minuit, p. 125).

La lecture du recueil me semblait donc mal partie car, comme le signale la postface très éclairante de Sabrina Parent, « Le Traité est imprégné de l’Être » ; ce sont des « poèmes d’inspiration ontologique ». – Normalement, à ce stade, ce n’est pas que je ne reste pas : je fuis. Chacun ses blocages. L’ontologie, ça me crispe.

Or justement : François Jacqmin lui-même, dès le premier poème, pose « l’être » et puis « s’enfuit » aussitôt. Ah. Voilà une façon de penser l’être qui peut m’intéresser !

A la tombée de la nuit,
l’irrémédiable
acquiert la ténacité de l’être.

Et l’on s’enfuit
sous
le couvert de la mélancolie.

C'est le dernier mot qui compte. Non, il ne s'agit pas de poèmes d’inspiration ontologique— mais d’inspiration mélancolique. Ils sont nés de l’échec auquel conduit inévitablement le désir de penser « l’être » : « c’est cet échec-là que je préfère par-dessus tout », confessait le poète. Et il avait raison car, quand on échoue à trouver l’être, on réussit peut-être à trouver le reste, même fugacement : la neige, les sentiers, la foule, un nuage, le noir, le matin, les oiseaux, la prairie.

L’échec, en dégonflant la grandiloquence de la langue, laisse la place à l’humour et à l’amour des mots. Or l’alliance de l’humour qui distancie et de l’amour qui embrasse, n’est-ce pas ce jeu de va-et-vient entre mots et choses qu’on appelle poésie ? S’il existe une voie pour que la langue – le bout de la langue – arrive à effleurer les choses – à créer une palpitation qui serait comme toucher les choses –, je crois, moi, que c’est celle-ci.

Ce qu’on trouve ne dure pas, certes, ou à peine : chez Jacqmin, cela dure le temps de sizains aux vers souvent très courts (plus un septain : "une erreur de calcul", dit le poème lui-même).

Mais, sizain après sizain, au fur et à mesure que l’être tenace se refuse, les mots sourient et parlent. Cela semble la moindre des choses. En réalité – en poésie – ce n’est pas rien. — Et ce qui n’est pas rien, c’est de l’être, non ?


Nulle part
est la plus ancienne clairière.
C’est le lieu

où vit le grand air.
Il n’y a ni distance ni horizon.
Tout y fut sauvé avant l’analyse du monde.

*

Le soir, les oiseaux repassent
comme des remords.
Ils obscurcissent le ciel

de leur futaie noire.
A première vue, il pourrait s’agir
d’un problème de connaissance.


François Jacqmin, Traité de la poussière, Le Cadran ligné, 2017


Tableau de Simon Hantaï

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