Milène Tournier : le recueil "Poèmes d’époque"


Voilà un moment que je n’ai pas chroniqué la collection Polder de la revue Décharge, qui continue avec constance son travail de découverte et de soutien à la « jeune poésie » francophone. Pour cette parution d’automne, je choisis donc Poèmes d’époque de Milène Tournier : des fragments de ville et de vie, des esquisses prises sur le vif le plus souvent, ou parfois réalisées d’après mémoire. La poète parle de nous tous, nous toutes, nous fait apparaître et disparaître telles qu’elle nous perçoit, une société par bribes prise dans le mouvement et dans la hâte, et qui ne réussit pourtant jamais à échapper à cette évidence intemporelle au fondement de tout art : la mort nous attend (« Et tous autour, et moi d’ailleurs aussi / La pleine rame / Nous étions / Les morts de bientôt »).

Ce Polder vaut aussi, signalons-le, pour la très intéressante préface de François Bon. Partant du fait que Milène Tournier s'est d'abord fait connaître comme poète sur Youtube, il réfléchit au « geste de publication qu’est ce livre », « tout sauf neutre et facile », et à ce que ce geste – publier un livre – signifie aujourd’hui, à l’heure d’Internet roi.




Je ne suis jamais allée, j’irai
T’écrire l’après-midi à Tanger
Simple ou presque simple dans une pièce qui garde l’ombre
J’irai t’écrire là, à frissonner un peu, d’inexacte sueur
D’avoir frais dans la ville brûlante
Je t’écrirai, l’après-midi long comme un drap qu’on met à pendre, plus grand que le lit, un drap pour presque une pièce, et qu’on replie lourd sur le piano, pour garder son bois d’épicéa de l’épais août
J’irai, abandonner à Tanger ce qu’à Tanger l’après-midi j’aurai écrit.

Milène Tournier, Poèmes d’époque, Polder 184, édition Décharge/Gros Textes, octobre 2019


© Bernard Guillot

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