Ce que je voudrais relever d’emblée, c’est le plaisir qu’il y a à lire les textes de Cécile Mainardi. Le
plaisir est un critère que je trouve assez rarement sous la plume ou dans la
bouche des critiques. On a souvent l’impression que l’idée de lire pour le
plaisir serait honteuse, de l’ordre du péché. Il faut lire pour de plus
nobles motifs. Certes. Et ces plus nobles motifs peuvent guider une lecture de
Cécile Mainardi, et je pense qu’on ne sera pas déçu. Mais le plaisir reste
aussi une excellente raison de la lire.
Le plaisir de lire Cécile Mainardi en est un parce qu’il
découle directement du plaisir (manifeste) qu’elle éprouve à écrire, et à
écrire sur ce plaisir d’écrire. Le plaisir paraît assez peu compatible avec
l’idée de tragédie, et l’entreprise poétique de Cécile Mainardi ne relève pas
du tragique ; elle ne tire pas son inspiration du tourment ; pas chez
elle de cri, de déchirure, de brûlure, de torture et autres passages obligés du
poète qui souffre : elle en est préservée par son humour, sa fantaisie, sa
curiosité. Mais le plaisir n’est pas incompatible avec la tristesse. Le ton qui
domine dans la plupart de ses poèmes et le charme qui s’en dégage rappellent la
poésie d’Apollinaire : une sorte de tristesse joyeuse, de plaisir
mélancolique.
Cécile Mainardi le revendique elle-même : elle est
« une grande actriste ». Ecrire la tristesse, la jouer, s’en jouer.
Elle joue, donc, nage, filme, écrit, embrasse, tire ses poèmes argentiques dans
des bacs d’eau superliquide… Tout cela, c’est la même chose et pourtant jamais
tout à fait pareil, et tout cela nous donne un étrange plaisir.
d
ans l’eau superliquide, on ne peut pas révéler de photographie /…/ à croire que
l’eau superliquide ne produit pas de révélation, mais que directement elle
photographie en rafales ce qu’on voit/quand ce qu’on voit est vu par les mêmes
yeux que ce qu’on lit
En fait, elle nous rappelle tout simplement pourquoi elle,
pourquoi on écrit de la poésie : pas parce qu’on a le privilège de côtoyer
les dieux, pas parce qu’on vit des choses supra-humaines dont le commun des
mortels n’aurait aucune idée, ni même nécessairement parce qu’on doit jouer de la lyre
pour aller chercher Eurydice aux Enfers. Mais essentiellement parce que
travailler la langue est une intense jouissance. On suit ainsi la poète dans
son activité jouissive, on la lit – lire et écrire de la poésie relèvent d’un
même travail sur la langue. Avec elle on nage dans la langue comme dans une eau
magique, et dans cette eau superliquide on retrouve notre corps superflexible,
notre cerveau superamoureux de 15 ans, des seins fraîchement poussés, des
cuisses bombées, des phrases qui coulent et qui se lisent toutes seules !
Et si on y retrouve également la tristesse de l’absence, cela ne saurait être
tragique. Car n’est-ce pas cette absence précisément que vient remplir le
poème ?
alors
pour ne pas disparaître, je prends un accent
le premier
accent que je prends est le bon
puis je
replonge sous l’eau démoussée de mon bain
avec soudain
des seins de fille de 15 ans
J’avais déjà été enthousiasmée par L’immaculé conceptuel,
Deuxième blondeur, précédent recueil de
Cécile Mainardi. Rose activité mortelle est pour moi une vraie réussite poétique, de celles qu'on voit
très rarement, et qui marquent.
Cécile Mainardi, Rose
activité mortelle, Flammarion, 2012
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Photo (cynaotype) Michael McCarthy |