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Lorand Gaspar


Un grand poète disparaît dans le silence des médias, ai-je lu en substance lors de la disparition de Lorand Gaspar (en octobre 2019). Oui. Est-ce donc un scandale ?

Le silence des médias.
Les poètes.
Sont-ils des êtres médiatiques, les poètes ? Doivent-ils être présents dans les médias ? Je n’ai pas l’impression que Lorand Gaspar ait eu un très grand désir d’être médiatisé.
Lu, oui, sûrement.

Ne devrait-on pas se réjouir, presque, que le monde des médias et celui des grands poètes se recontrent si peu ? Que les grands poètes et leurs écrits passent si complètement sous le radar de la com’ médiatique ?
D’ailleurs n’en a-t-on pas fini avec les grands poètes, n’a-t-on pas envie d’en finir en tout cas ?
Le culte de la personnalité, on a assez donné, non ? Est-ce qu’on désire vraiment un nouveau Victor Hugo (je place ici un émoji cœur) pour nous sortir du gouffre ? un nouveau Pablo Neruda (nouvel émoji cœur) pour incarner la grandeur de son peuple aux yeux du monde ?
De grands poètes, des phares dans la nuit, avec des femmes à foison dans leur lit, des funérailles nationales, des foules bouleversées. Oui. Moi aussi j’aime ces récits. Pour le xixe ou le xxe siècle, pour avant.
Mais pour Lorand Gaspar, par exemple, le silence des médias, je me demande si ce n’était pas la meilleure option. Ça n’empêchera pas que celles qui ont envie de le lire le liront.

Les grands poètes, ça n’existe plus, ça ne se fait plus, on n’en veut plus. On veut juste des personnes qui écrivent de bons poèmes, et d’autres qui les publient ; et comme média, des revues passionnées qui les diffusent. Et puis après ça, c’est à nous de les lire.

En plus, si on se débarrasse des grands poètes, et qu’on garde simplement des personnes qui écrivent de bons poèmes (et qui sont lues pour leurs bons poèmes), il y a des chances que parmi celles-ci on trouve pas mal de femmes, finalement. C’est plutôt bien, ça. (Notons que le silence des médias, les poètes femmes connaissent ça très bien).

Un espace existe où les médias sont silencieux et les mots vivants : celui où des poèmes circulent.




La maison près de la mer, II (extrait)

Le bruit de l’eau qui roule dans les pierres
sons brodés par nuit calme sur la mer
ces langues que j’ignore et qui me parlent

j’ai sur ma table à portée de la main
des cailloux longuement travaillés par la mer
les toucher, c’est comme si les doigts
pouvaient parfois éclairer la pensée —

Lorand Gaspar, Patmos et autres poèmes, Poésie Gallimard, 2001


© Michael McCarthy, pinhole series

Nouvelle parution : Murièle Camac, En direction de l'ouest

Mon nouveau recueil vient de paraître aux éditions Le Citron Gare, accompagné de photographies de Michael McCarthy. Pour tomber dessus, il faut aller En direction de l'ouest.


Ou sinon, on peut aussi le commander aux éditions Le Citron Gare, en envoyant un courriel à Patrice Maltaverne : p.maltaverne@orange.fr ou à moi : muriele.camac@gmail.com (10 € port compris).



- Une sélection de poèmes du recueil dans la revue Contre-Allées n° 41, printemps 2020

- Une recension de Claude Vercey sur le site de Décharge :  
I.D n° 827 : Celle qui n’a jamais vu la mer

- Une lecture de Jacques Morin dans la revue Décharge n° 183

- Une lecture de Valérie Canat de Chizy dans la revue Verso n° 179, décembre 2019




Le temps a beau enrouer nos voix
les vies se font entendre
autre part

des révoltes remontent en apnée
ce sont les vaincus qui persistent
à mettre un pied devant l’autre

les morts demeurent en nous
leur déception intacte
dans le présent pluvieux
leur banderole intacte



Une nouvelle expo photo de Michael McCarthy


Michael McCarthy, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois dans ce blog (notamment ici), présente A certain slant of light à la galerie Duboys à Paris.
(A noter que le titre de l’exposition est tiré d’un très beau poème de Emily Dickinson).



Les photographies de Michael McCarthy s’élaborent à la vitesse où les plantes poussent : lentement.

Les techniques utilisées sont anciennes pour ne pas dire archaïques. A l’heure d’Instagram, l’artiste américain a recours au sténopé, au cyanotype, à la gomme bichromatée… Noms délicieusement barbares pour les non-initiés, et qui fleurent bon le 19e siècle, l’artisanat un peu maniaque, l’atelier encombré d’objets en bois, en verre, en métal – matières dures d’où naîtra l’image, fascinante illusion de l’espace.

Ce n’est pas de la nostalgie, c’est de l’amour, et un désir de redonner de l’enfance à la technologie moderne, que Michael McCarthy utilise aussi par ailleurs (il ne dédaigne pas les possibilités offertes par le numérique). Un désir de contrarier un peu le temps, d’inverser la vitesse, non pas de faire marche arrière mais plutôt de faire un (long) détour par les petites routes mal goudronnées, parce qu’on y sent mieux les cahots du chemin, et de quoi celui-ci est fait. A contre-courant de la photographie contemporaine institutionnalisée, souvent très lisse et très cérébrale, il bricole, manipule, et surtout prend le temps de bien regarder. Il rappelle qu’un caillou peut être grand comme une montagne – tout est question de perspective, de point de vue, de perception.

Il y a sans doute chez lui une volonté de comprendre les origines mêmes de la photographie. Ou de l’art. Ou de la vie. C’est à la fois très ambitieux et très humble. Après tout, une photographie argentique, comme une plante, c’est simplement un mariage de lumière, d’eau et de temps, avec un peu de chimie pour lier le tout.

C’est aussi, comme une pierre, un objet patient qui s’impose discrètement et durablement dans l’espace.

Une présence, en tout cas. Voilà ce que l’exposition de la galerie Duboys nous donne à voir : des présences silencieuses mais obstinées. — Silencieuses, le terme est inexact : quand on les écoute avec l’attention qu’elles méritent, les photographies de Michael McCarthy parlent. Mais sans faire de bruit.


© McCarthy: The landscape listens


Parution du recueil "Vitres ouvertes"


Polder est une petite collection dirigée par l’infatigable Claude Vercey et publiée conjointement par la revue Décharge et les éditions Gros Textes d'Yves Artufel. Elle est principalement destinée à mettre le pied à l’étrier à des auteurs ayant encore peu ou pas publié de recueil : par exemple, moi.

Vient donc de paraître le Polder 155 (un grand merci à l’équipe de Décharge et de Gros Textes !), Vitres ouvertes, que je signe et que préface le non moins infatigable Patrice Maltaverne du poézine Traction-Brabant.

Voici un extrait de sa préface :

« Dans un gouvernement utopique de la poésie, dont je voudrais qu’il soit plus rigolo que les autres, Murièle Camac pourrait devenir déléguée à l’ouverture d’esprit ou, si vous trouvez cela d’emblée trop flatteur, experte en sociologie lucide ou en tourisme éclairé.
/…/
Après avoir parcouru cette galerie de portraits, l’idée m’effleure que les textes de Murièle Camac contribuent à un renouveau en douceur de la poésie engagée, qui reste un gros mot pour certains. Mais ne soyons pas indisposés. Aucune adhésion de type syndical n’est demandée ici. Nous sommes juste invités à reprendre conscience de l’extrême diversité des formes de vie, qui dépasse les clivages pouvant exister entre richesse et pauvreté. Se devine là l’envie d’apprivoiser toutes les ambiances, ce qui ajoute aux bienfaits du langage poétique, même si ‘je préfère, je crois, que Palerme se dépose / sur mon pare-brise plutôt que sur ma vie’. »


— Lire d'autres réactions à Vitres ouvertes :
- Claude Vercey sur son blog Itinéraires de délestage
- Jean-Marc Proust, sur le blog de Claude Vercey
- Alain Boudet dans Le promenoir (d'abord paru sur La toile de l'un)
- Georges Cathalo dans la revue Texture
- Murièle Modély sur son blog L'oeil bande
- Cécile Guivarch sur le site Terre à ciel
- Guy Chaty dans la revue Poésie Première
- Teklal Neguib dans la revue en ligne L.ART en Loire (n° 8)

Merci beaucoup, beaucoup à eux !


Et je signale que Simon Alloneau publie conjointement un très bon recueil, Un jour on a jamais rien vu, Polder 156 (car les Polder vont toujours par deux, comme les bonheurs !)


  
Commandes à :
Fontfourane
05380 Châteauroux-les-Alpes
(Chèques à l’ordre de Gros Textes)

50 pages au format 10 x 15, couverture : Michael McCarthy, 6 € (+ 1 € de port – port compris à partir de l’achat de 2 exemplaires)

Une critique du recueil "Rose activité mortelle" de Cécile Mainardi

Ce que je voudrais relever d’emblée, c’est le plaisir qu’il y a à lire les textes de Cécile Mainardi. Le plaisir est un critère que je trouve assez rarement sous la plume ou dans la bouche des critiques. On a souvent l’impression que l’idée de lire pour le plaisir serait honteuse, de l’ordre du péché. Il faut lire pour de plus nobles motifs. Certes. Et ces plus nobles motifs peuvent guider une lecture de Cécile Mainardi, et je pense qu’on ne sera pas déçu. Mais le plaisir reste aussi une excellente raison de la lire.

Le plaisir de lire Cécile Mainardi en est un parce qu’il découle directement du plaisir (manifeste) qu’elle éprouve à écrire, et à écrire sur ce plaisir d’écrire. Le plaisir paraît assez peu compatible avec l’idée de tragédie, et l’entreprise poétique de Cécile Mainardi ne relève pas du tragique ; elle ne tire pas son inspiration du tourment ; pas chez elle de cri, de déchirure, de brûlure, de torture et autres passages obligés du poète qui souffre : elle en est préservée par son humour, sa fantaisie, sa curiosité. Mais le plaisir n’est pas incompatible avec la tristesse. Le ton qui domine dans la plupart de ses poèmes et le charme qui s’en dégage rappellent la poésie d’Apollinaire : une sorte de tristesse joyeuse, de plaisir mélancolique.

Cécile Mainardi le revendique elle-même : elle est « une grande actriste ». Ecrire la tristesse, la jouer, s’en jouer. Elle joue, donc, nage, filme, écrit, embrasse, tire ses poèmes argentiques dans des bacs d’eau superliquide… Tout cela, c’est la même chose et pourtant jamais tout à fait pareil, et tout cela nous donne un étrange plaisir.

d ans l’eau superliquide, on ne peut pas révéler de photographie /…/ à croire que l’eau superliquide ne produit pas de révélation, mais que directement elle photographie en rafales ce qu’on voit/quand ce qu’on voit est vu par les mêmes yeux que ce qu’on lit

En fait, elle nous rappelle tout simplement pourquoi elle, pourquoi on écrit de la poésie : pas parce qu’on a le privilège de côtoyer les dieux, pas parce qu’on vit des choses supra-humaines dont le commun des mortels n’aurait aucune idée, ni même nécessairement parce qu’on doit jouer de la lyre pour aller chercher Eurydice aux Enfers. Mais essentiellement parce que travailler la langue est une intense jouissance. On suit ainsi la poète dans son activité jouissive, on la lit – lire et écrire de la poésie relèvent d’un même travail sur la langue. Avec elle on nage dans la langue comme dans une eau magique, et dans cette eau superliquide on retrouve notre corps superflexible, notre cerveau superamoureux de 15 ans, des seins fraîchement poussés, des cuisses bombées, des phrases qui coulent et qui se lisent toutes seules ! Et si on y retrouve également la tristesse de l’absence, cela ne saurait être tragique. Car n’est-ce pas cette absence précisément que vient remplir le poème ?

alors pour ne pas disparaître, je prends un accent
le premier accent que je prends est le bon
puis je replonge sous l’eau démoussée de mon bain
avec soudain des seins de fille de 15 ans

J’avais déjà été enthousiasmée par L’immaculé conceptuel, Deuxième blondeur, précédent recueil de Cécile Mainardi. Rose activité mortelle est pour moi une vraie réussite poétique, de celles qu'on voit très rarement, et qui marquent.

Cécile Mainardi, Rose activité mortelle, Flammarion, 2012


Photo (cynaotype) Michael McCarthy


Une critique de l'exposition photo/vidéo « Human form » : Frédérique Chauveaux et Michael McCarthy


C’est dans le Marais, rue des Coutures Saint-Gervais, dans la belle galerie Duboys. Michael McCarthy, photographe et plasticien américain, et Frédérique Chauveaux, danseuse et vidéaste française, ont été réunis ici pour leur travail sur la forme humaine, « human form » : de la forme naît le sens, la possibilité d’un sens, pour appréhender ce que c’est qu’être « humain ».

© Michael McCarthy
Dans la première salle, Michael McCarthy, « photographe qui peint ou bien peintre qui photographie » comme il se définit lui-même, expose d’étonnants autoportraits photo. Il transforme son propre corps, son propre visage, en un lieu de méditation à la fois douloureuse et étrangement sereine sur le temps, sur la présence humaine, sur la vulnérabilité et la grâce. Les photographies très travaillées – négatifs coupés, déchirés, peints – deviennent des objets soumis au travail du temps au même titre que le corps. L’effet produit est intense, presque fantastique : on a l’impression d’assister à la fois à une désintégration (en particulier pour les « Anti-portraits ») et à une affirmation de puissance.
« Ce qui est le plus proche est souvent le plus mystérieux », dit le titre de l’une de ses séries, d’après une citation de David Hockney.


© Frédérique Chauveaux
On passe dans l’autre salle. Frédérique Chauveaux, danseuse, chorégraphe, a filmé des morceaux de son corps en mouvement, ou de celui des autres : mains, nuques, têtes, torses. Elle les projette sur des objets inattendus, les objets qui accueillent ces morceaux de corps au quotidien, oreiller, chemise, lavabo. Les objets de la vie courante, façonnés et utilisés par le corps humain, deviennent ainsi des lieux soudain insolites où le corps fragmenté prend son sens, et en même temps le questionne. On retrouve là, dialoguant avec les photographies, une méditation fascinante sur ce qu’est un corps dans le temps et l’espace.

Mes poèmes : Suite, 3e partie


Ce poème, comme le précédent, a été inspiré par une photo de Michael McCarthy.




 
les syllabes anciennes
tu les as transmuées en galets luisants
            le monde glisse comme un regard
sur une photo

la mer se révèle nuage   
le temps blancheur
quelques minutes d’exposition             
                       
– un royaume perdu
délivré


 Photo Michael McCarthy

Mes poèmes : Suite, 2e partie


Deux poèmes, dans la suite publiée par N4728 (voir post précédent), ont été inspirés par des sténopés de Michael McCarthy. Voici le premier, suivi de sa photo.



comment fait
l’ombre pour ne pas exister
comment fait l’ombre pour durcir au soleil

au soleil
les épines archaïques
dessinent le masque
d’or du guerrier

la face barbue du mythe




Photo Michael McCarthy

Mes poèmes : "22h22"


Un poème autobiographique ! Un train bondé, la nuit, qui reste à quai en gare de Poitiers. Moi assise sur un strapontin à l’entrée, faute de place ailleurs. Tout est étrangement silencieux. Je regarde l’heure : 22h22.
Ce poème a été publié dans la vénérable revue Décharge.


22h22

le train est à l’arrêt rien ne bouge rien ne bruit
ni dehors ni dans le wagon débordant
d’une humanité hypnotisée
une vitre noire révèle un mot en blanc « sreitioP »
par la porte ouverte on voit les quais les bâtiments de la gare
un bout de drapeau français
la nuit de septembre ni chaude ni froide
un jeune homme prêt à monter
une jeune fille éloignée de deux pas
tous deux fument
silencieux et fatigués comme la nuit
concentrés comme en mission
comme en prière
ils ne se regardent pas ne se parlent pas
je fais semblant de ne pas les regarder
le petit contrôleur zélé qui va et vient
est le seul actif et réveillé ici
le seul à savoir ce qu’il doit faire et comment
et pourquoi

Photo Michael McCarthy
 

Une traduction : deux poèmes de Theodore Roethke


Comme beaucoup d’autres, avant de me mettre à vraiment poétiser moi-même, j’ai fait mes premiers essais (connu mes premiers bonheurs) grâce à la traduction.
Voici un auteur américain du milieu du 20e siècle, peu connu en France : Theodore Roethke, poète des floraisons excessives sous les serres, des tiges coupées, du pourrissement organique qui nourrit la terre et les hommes.




Tailles

Des tiges assoupies dodelinent sur un terreau sucré,
Leur fourrure brindille, compliquée, sèche ;
Pourtant les boutures délicates continuent à amadouer l’eau ;
Les petites cellules gonflent ;

Un noyau de croissance
Pousse du nez une miette d’humus ;
A travers une enveloppe moisie
Pointe une pâle corne vrillée.

 

Tailles, plus tard

Ce désir, cette lutte, cette résurrection des branches sèches,
Des tiges coupées qui s’évertuent à reprendre pied,
Quel saint aura fourni un tel effort,
Se sera dressé sur des membres ainsi mutilés pour vivre à nouveau ?

Je les entends, sous la terre, sucer et sangloter,
Dans mes veines, dans mes os je le sens –
Les eaux ténues qui remontent,
Les grains serrés qui s’écartent enfin.
Quand les germes font surface,
Glissants comme des poissons,
Je vacille, je tends aux commencements, moite de mon enveloppe.


Traduction © Murièle Camac



"From below", photo Michael McCarthy