Il est presque dommage que Sylvia Plath ait été si jolie, si
photogénique à la Grace Kelly – et s’il est également très dommage qu’elle se
soit suicidée si jeune, à 31 ans, ce n’est pas uniquement parce que cela a
interrompu une œuvre a son apogée – mais parce que, comme sa photogénie, cela
jette une ombre sur l’intérêt porté à sa poésie : l’ombre terrible du
scepticisme. Lit-on ses poèmes parce qu’ils sont bons, ou parce qu’ils ont été
écrits par une jolie jeune femme désespérée ?
A vrai dire, personnellement, je ne comprends même pas que
la question se pose. Et je trouve assez exaspérant le mépris que certains
critiques continuent d’afficher à l’égard de Plath. On peut imaginer Grace
Kelly princesse, mais pas poète. Pourtant, il suffit de lire le recueil Ariel ou les poèmes de la dernière année pour savoir que
Sylvia Plath est un vrai poète. Il suffit de les relire pour comprendre qu’elle
est, en fait, un très grand poète.
Les traductions que Valérie Rouzeau en a faites en français
sont remarquables.
Miroir
Je suis d’argent et exact. Je n’ai pas de préjugés.
Tout ce que je vois je l’avale immédiatement,
Tel quel, jamais voilé par l’amour ou l’aversion.
Je ne suis pas cruel, sincère seulement —
L’œil d’un petit dieu, à quatre coins.
Le plus souvent je médite sur le mur d’en face.
Il est rose, moucheté. Je l’ai regardé si longtemps
Qu’il semble faire partie de mon cœur. Mais il frémit.
Visages, obscurité nous séparent encore et encore.
Maintenant je suis un lac. Une femme se penche au-dessus de
moi,
Sondant mon étendue pour y trouver ce qu’elle est vraiment.
Puis elle se tourne vers ces menteuses, les chandelles ou la
lune.
Je vois son dos, et le réfléchis fidèlement.
Elle me récompense avec des larmes et une agitation de
mains.
Je compte beaucoup pour elle. Elle va et vient.
Chaque matin c’est son visage qui remplace l’obscurité.
En moi elle a noyé une jeune fille, et en moi une vieille
femme
Se jette sur elle jour après jour, comme un horrible
poisson.
Traduction Valérie Rouzeau, dans Sylvia Plath, Œuvres, Quarto Gallimard, 2011
Mirror
I am silver
and exact. I have no preconceptions.
Whatever I
see I swallow immediately
Just as it
is, unmisted by love or dislike.
I am not
cruel, only truthful-
The eye of
the little god, four cornered.
Most of the
time I meditate on the opposite wall.
It is pink,
with speckles. I have looked at it so long
I think it
is a part of my heart. But it flickers.
Faces and
darkness separate us over and over.
Now I am a
lake. A woman bends over me,
Searching
my reaches for what she really is.
Then she
turns to those liars, the candles or the moon.
I see her
back, and reflect it faithfully.
She rewards
me with tears and an agitation of hands.
I am
important to her. She comes and goes.
Each
morning it is her face that replaces the darkness.
In me she has
drowned a young girl, and in me an old woman
Rises
toward her day after day, like a terrible fish.
Sylvia Plath, The Collected Poems, 1981
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Lucian Freud, Girl in a Dark Jacket |