A vrai dire, personnellement, je ne comprends même pas que
la question se pose. Et je trouve assez exaspérant le mépris que certains
critiques continuent d’afficher à l’égard de Plath. On peut imaginer Grace
Kelly princesse, mais pas poète. Pourtant, il suffit de lire le recueil Ariel ou les poèmes de la dernière année pour savoir que
Sylvia Plath est un vrai poète. Il suffit de les relire pour comprendre qu’elle
est, en fait, un très grand poète.
Les traductions que Valérie Rouzeau en a faites en français
sont remarquables.
Miroir
Je suis d’argent et exact. Je n’ai pas de préjugés.
Tout ce que je vois je l’avale immédiatement,
Tel quel, jamais voilé par l’amour ou l’aversion.
Je ne suis pas cruel, sincère seulement —
L’œil d’un petit dieu, à quatre coins.
Le plus souvent je médite sur le mur d’en face.
Il est rose, moucheté. Je l’ai regardé si longtemps
Qu’il semble faire partie de mon cœur. Mais il frémit.
Visages, obscurité nous séparent encore et encore.
Maintenant je suis un lac. Une femme se penche au-dessus de
moi,
Sondant mon étendue pour y trouver ce qu’elle est vraiment.
Puis elle se tourne vers ces menteuses, les chandelles ou la
lune.
Je vois son dos, et le réfléchis fidèlement.
Elle me récompense avec des larmes et une agitation de
mains.
Je compte beaucoup pour elle. Elle va et vient.
Chaque matin c’est son visage qui remplace l’obscurité.
En moi elle a noyé une jeune fille, et en moi une vieille
femme
Se jette sur elle jour après jour, comme un horrible
poisson.
Traduction Valérie Rouzeau, dans Sylvia Plath, Œuvres, Quarto Gallimard, 2011
Mirror
I am silver
and exact. I have no preconceptions.
Whatever I
see I swallow immediately
Just as it
is, unmisted by love or dislike.
I am not
cruel, only truthful-
The eye of
the little god, four cornered.
Most of the
time I meditate on the opposite wall.
It is pink,
with speckles. I have looked at it so long
I think it
is a part of my heart. But it flickers.
Faces and
darkness separate us over and over.
Now I am a
lake. A woman bends over me,
Searching
my reaches for what she really is.
Then she
turns to those liars, the candles or the moon.
I see her
back, and reflect it faithfully.
She rewards
me with tears and an agitation of hands.
I am
important to her. She comes and goes.
Each
morning it is her face that replaces the darkness.
In me she has
drowned a young girl, and in me an old woman
Rises
toward her day after day, like a terrible fish.
Sylvia Plath, The Collected Poems, 1981
Lucian Freud, Girl in a Dark Jacket |
Une très grande poétesse.
RépondreSupprimerOn est d'accord.
SupprimerMerci de m'avoir fait découvrir ce blog très soigné.
RépondreSupprimerCi-joint, un petit extrait d'un travail de recherche effectué l'année dernière autour de S. Plath et V. Woolf au cours de ma formation de psychanalyste:
...A la façon d’un cycle, se referme comme un navire dans une bouteille l’histoire de cette petite fille pour qui le monde avait cessé d’être lumineux à huit ans, la mer et la lune se rejoignant. Dans l’expression, un joli mythe blanc qui s’envole, l’obsession de la blancheur, de l’immensité parfaite dans un désir de se fondre avec les éléments. Ce blanc contraste avec la hantise du rouge, une obsession du sang qui coule, la cruauté de la déchirure et de la blessure ; on la trouve dans nombre de ses poèmes contrebalancée par le blanc quand il évoque apaisement, sommeil sans oublier le blanc aseptique de l’hôpital où ils se situent souvent. Le vert symboliserait la poussée de vie, la pulsion de vie toujours présente dans le monde végétal. Lucidité de son attirance irrésistible vers l’obscur, le morbide, l’unique péché :
« Quand j’étais enfant, j’ai aimé un nom mordu par le lichen.
Ce serait donc l’unique péché, ce vieil amour mort de la mort ? »
La flaque d’eau entre le monde et le Moi, celle qui immobilisait Virginia Woolf, est devenue l’obstacle à présent franchissable.
Réalisant une totale identification au symptôme, le synthome a été assumé jusqu’à se confondre avec lui. Virginia Woolf choisit l’eau qui l’a toujours hantée, lestant ses poches de pierres pour plonger dans le courant, mettant fin au courant de conscience, signe d’identité de sa prose. Sylvia Plath se suicide au gaz, assumant son identification à une judéité qu’elle considère comme sienne, dans une tentative de payer le prix symbolique du crime fantasmé de l’origine paternelle.
Le cristal s’est brisé exactement là où était originairement la ligne de faille...
Marie-Brigitte Ruel / Marcilly-sur-Eure
Merci pour votre intérêt et pour cet extrait de votre travail, aux images saisissantes - et pour la confrontation entre Plath et Woolf, deux des plus grands auteurs du 20e siècle (deux Judith Shakespeare ! pas facile d'être un génie femme...).
SupprimerJ'aime beaucoup en particulier l'image de Virginai Woolf "plongeant dans le courant, mettant fin au courant de conscience"...
Merci de vos remarques, j''en suis très touchée. Le poème que vous avez choisi "Le miroir" m'a inspirée hier pendant une consultation avec une jeune femme s'interrogeant sur elle-même et son rôle de femme, ce que nous appelons en psychanalyse "la mascarade". Je me suis penchée sur ces 2 écrivains pour une recherche traitant précisément de la difficulté d'être femme à quelque époque que ce soit en étudiant leur écriture baignée de souffrance. Dans un autre registre, Camille Claudel a laissé de belles œuvres et sa correspondance et tant d'autres.encore...
RépondreSupprimerJ'ai découvert votre blog en naviguant autour de Plath. Je viens de découvrir à son propos un ouvrage récent: "Mourir est un art comme tout le reste" de O. Jeancourt Galignani", documenté, fascinant!
Marie-Brigitte Ruel / m.b.ruel@free.fr
Oui, j'ai vu en librairie ce livre sur Sylvia Plath, il avait l'air riche en effet ; à mettre sur ma liste de lectures...
RépondreSupprimerLa difficulté d'être une femme, c'est vraiment un sujet passionnant et inépuisable - la difficulté d'être un homme aussi, d'ailleurs - et qu'y a-t-il de plus stimulant ? L'intérêt, l'envie, la créativité naissent de la difficulté...