Deux poèmes d'Emmanuel Merle (Ici en exil)


Deux poèmes, dont le premier, du très beau Ici en exil d’Emmanuel Merle, paru récemment.
Voir aussi ma note de lecture sur ce recueil, publiée sur le site Poezibao.



Nous étions trois dans cette pente
le châtaignier mon père et moi
deux autour du feu le troisième
penché sur la voie ferrée

Il faudra l'abattre me dit-il
il a la maladie
Brume et fumée se mêlaient
ça ressemblait à l'origine

Se pouvait-il qu'un arbre meure
Il était tôt le bois chuintait
je regardai mon père et puis
le châtaignier

Je pris un caillou tiède
le lançai sur la voie ferrée
comme on fait un geste d'exil
pour que ce ne soit pas le dit
d'être soi-même exilé


***


La pierre a cette densité
d’un ciel d’orage tout entier
ramassé dans ma main

cette possibilité de cataclysme
comme une froide aspiration
de l’air qu’il me reste
à respirer

A l’homme qui saisit une pierre
le monde rappelle la vie
radicale et muette
de ce qui est

Emmanuel Merle, Ici en exil, L’escampette Editions, 2012



Kiki Smith, Nest and Trees



7 commentaires:

  1. Le feu, la brume, la fumée, puis, la pierre.
    Le vaporeux et le solide, ce à quoi se rattacher.
    Un talisman contre l'exil ?
    "le châtaignier, mon père et moi"
    "se pouvait-il qu'un arbre meure"
    très beaux vers, langue superbe!

    Merci de m'avoir donné à lire ce très beau poème.

    Marie-Brigitte RUEL

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    1. J'aime beaucoup votre commentaire. Pour moi ce sont vraiment deux poèmes magnifiques (et ce ne sont pas les seuls de ce recueil !)

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  2. ce sont de très jolis poèmes. à propos je cherchais un texte écrit en prose d'emmanuel merle. où peut on en trouver un ?

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    1. Je ne sais pas ! Il a publié un recueil de nouvelles chez Gallimard, à ma connaissance ce sont ses seules proses.

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  3. est ce que dans ce poème la voie ferrée est synonyme d'exil ? ou plutôt la voie ferrée, l'endroit où rodent quelques rodeurs, quelques mauvais garçons, sur cette voie que personne n'est censé traverser, l'interdit de se trouver sur la voie ferrée et de la traverser, et parfois la mort des animaux, des sucidés.

    j'ai lu également la prose d'emmanuel merle, où il se trouve sur une voie de chemin de fer, un chat renversé et mourant, deux hommes qui marchent sur la voie ferrée, et je pensais également à la même chose : la voie ferrée comme interdite (il est interdit de la traverser et de s'y trouver), les mauvais garçons adorent s'y trouver comme pour braver les interdits et braver la mort, car ce chat qui a fait l'expérience de s'y trouver en est mort.

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    1. On finit tous par se retrouver au bout de cette voie ferrée un jour ou l'autre, en exil de la vie, même l'arbre qui pourtant semble immuable.

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    2. Mais où est il ? Est il caché entre deux pages, à la lettre commençant par M . La lettre arrachée, la page rattachée au milieu de toutes ces pages. Un point sur son nom, une attache, un oiseau reliée à l'attache. Quel drôle ce Mr Merle, lui qui n'appelle pas, lui qu'on ne rappelle pas et qui se perd dans l'annuaire. Il est monté sur ressort quand mon chat le trouve, se penche sur lui et joue avec lui comme avec une figurine. J'ai songé le faire disparaître, mais je l'ai retrouvé à l'annuaire suivant. Et je recommençais à le rattacher à cet drôle de figurine montée sur ressort et que mon chat se plaisait à attraper.

      Sonia Brévières

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