De cet ouvrage paru en 1987, mi-essai, mi-poème, on aurait envie de tout citer :
« De ce point de vue [celui de la poésie], penser et sentir sont
une seule et même chose, comme l’intelligence et l’amour, l’action et la
contemplation ».
« Octavio Paz a pu dire à l’occasion d’un entretien : ‘Toute
grande poésie doit se confronter avec la
mort et être une réponse à la mort’. Moi, qui ne crois pas aux réponses, je
préfère penser la poésie comme une présence devant la mort ».
« Peut-être l’unique sens est-il l’intensité sans le sens ».
Conception ‘moderne’ plutôt que 'postmoderne' de la poésie, sans aucun doute. Le poète argentin affirme, loin du recyclage kitsch ou de l’expérimentalisme formaliste
contemporains, une croyance en un « autre côté » – en l’invisible, en
l’impossible, en la « resacralisation laïque du monde ».
C’est revigorant – et c’est parfois un peu gênant, aussi… Juarroz en effet
ne se départ pas d’une certaine conception du poète comme un être à part, quasi
sacré ou quasi martyr. Certes, ce qu’il veut surtout dire, c’est que la poésie est une expérience à part. Mais
il ressort tout de même de certaines de ses formulations l’idée du caractère
exceptionnel et pour ainsi dire héroïque de la personne elle-même du poète.
En tout cas, celui-ci est présenté comme étant clairement au-dessus de la
mêlée. « La poésie prétend accomplir la tâche suivante : que le monde
ne soit pas seulement habitable pour les imbéciles », dit le texte d’un de
ses amis qu’il reprend à son compte. Cet aspect-là est un peu décevant : expérience
à part ou non, on semble toujours retomber, finalement, sur l’ego du poète. C’est
dommage. J’aurais préféré que Juarroz ne parle que de poésie et laisse le poète
tranquille.
Poésie et
réalité (1987) de Roberto Juarroz,
traduit
de l'espagnol par Jean-Claude Masson, Éditions Lettres vives, 1987
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"Chemin principal et chemins secondaires" de Paul Klee (dont
Juarroz cite la belle formule : « Le visible n’est qu’un exemple du
réel »)
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