Si j’avoue que je n’ai rien compris, est-ce
que je passe pour une idiote ? Est-ce que je perds toute crédibilité (à
supposer d’ailleurs que j’en aie) ?
Bon, je n’ai pas compris, c’est vrai. D’habitude, ça veut dire que je n’ai
pas aimé, c’est mon côté un peu limité, un peu concon : si je comprends
rien, j’aime pas, je m’ennuie. Mais là, c’est différent, c’est bizarre. Je n’ai
pas compris et pourtant j’ai éprouvé du plaisir. Peut-être en fait que j’ai quand
même un peu compris quelque chose. Comme dans les rêves où on comprend même
quand on ne comprend pas. La logique obéit à d’autres lois, les métamorphoses se
produisent tout naturellement, il n’y a pas de différence entre mots et choses
et un mot en vaut un autre.
Dans meurs ressuscite, on n’est
pas de l’autre côté du miroir, on est sous la glace. Ça change un peu la donne.
Le jardin d’Eden avec son pommier au milieu s’en trouve tout transformé. On a
du mal à s’y reconnaître. Ce qu’on reconnaît bien, en revanche, c’est l’esprit
d’enfance, le vrai esprit de paradis (perdu, retrouvé) : le goût du jeu, le
sentiment d’être tout petit, la candeur et la grâce, l'impertinence, la peur de ne pas être
aimé, et, finalement, la confiance et la joie.
Même si la plupart du temps, quand même, on ne comprend vraiment rien.
Sur Albane Prouvost, poète très mystérieuse qui signe ce court livre, je renvoie
au site Sitaudis et à l’article de Pierre-Georges Goudiou, qui n’en sait guère
plus que moi mais qui propose des hypothèses intéressantes (cela dit, lorsqu’il
evoque « la fraîcheur et la ferveur d’Emily
Dickinson »
à propos d’Albane Prouvost, je reste un peu interloquée).
sorbier complètement givré
pardonne-moi
ne revivrais-je pas entourée de brusques glaciers en train de s’écrouler
ou de branches
ainsi la neige et les pommiers sont-ils meilleurs incomparablement
meilleurs
un premier pommier serait pour toi
un brusque pommier serait meilleur
ou un simple cerisier serait incomparable
jeune cerisier complètement givré à force de ne pas y toucher
ainsi jeune cerisier plus têtu tu meurs
sous les cerisiers naissent les pommiers
les abricotiers ne terrorisent personne
personne n’est terrorrisé par un abricotier en fleur
poirier pommier autosuffisant prunier bénis-moi
s’il te plaît aime-moi bien
en train de supplier sous la glace tous les poiriers sont aimés
Extrait de meurs
ressuscite, Albane Prouvost, P.O.L., 2015
Tableau d'Egon Schiele |
Je préférais quand c'était Michaux qui fumait la moquette.
RépondreSupprimerLes drogues ont dû évoluer depuis cette grande époque, du coup leurs effets aussi...
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerVotre commentaire interpelle. En effet, ces paroles saisissent comme le gel . On se sent attrapé, pris au piège comme attrapé par en dessous, sous la glace. Est-ce un hasard ou un effet induit par ces lignes? Je n'en sais strictement rien. Mais elles déconcertent, on est perdu, la chaîne du sens est brisée. On demande une bénédiction, on supplie, on quémande l'amour. Ferveur mystique, dénuement, perte de repères... Ce texte agit , c'est indéniable. Pourquoi serait-ce plus déjanté que bien d'autres? J'y trouve une pureté glaciale mais belle. Mais, comprendre, non , c'est un autre registre.
RépondreSupprimerMarie-Brigitte Ruel
Une image de la chute, peut-être, que celle des "brusques glaciers" : chute hors du paradis et chute hors du sens immédiatement saisissable.
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