Vide-poche : le philosophe Giorgio Agamben


Dans son dernier ouvrage, Le feu et le récit, le philosophe italien Giorgio Agamben développe l’idée d’une résistance interne de l’œuvre artistique à sa propre création, d’une tension interne à la pratique artistique entre le faire et le ne-pas-faire : c’est ce qu’il appelle « la poétique du désœuvrement ». « Désœuvrement » n’est pas à prendre ici dans le sens négatif d’oisiveté ou inertie, mais au contraire dans un sens positif :

« Tandis que pour les Anciens, c’était le travail – le negotium – qui se trouvait défini négativement par rapport à la vie contemplative – l’otium –, les modernes semblent incapables de concevoir la contemplation, le désœuvrement et la fête autrement que comme un repos ou une négation du travail. »

Au terme de sa réflexion sur le désœuvrement créateur, Agamben aboutit à la poésie :

« Le modèle par excellence de cette opération qui consiste à désœuvrer toutes les œuvres humaines est peut-être la poésie elle-même. Qu’est-ce en effet que la poésie, sinon une opération dans le langage qui désactive et désœuvre les fonctions communicatives et informatives pour les ouvrir à un nouvel usage possible ? Ou, dans les termes de Spinoza, le point où la langue qui a désactivé ses fonctions utilitaires repose en elle-même et contemple sa puissance de dire. En ce sens, [les œuvres de Dante, Leopardi ou Caproni] sont la contemplation de la langue italienne ; la sextine d’Arnaut Daniel, la contemplation de la langue provençale ; les poèmes posthumes de Vallejo la contemplation de la langue espagnole ; les Illuminations de Rimbaud la contemplation de la langue française ; les Hymnes de Hölderlin et la poésie de Trakl la contemplation de la langue allemande. »

Giorgio Agamben, Le feu et le récit
traduit par Martin Rueff, Bibliothèque Rivages, 2015
 
Malevitch, Carré noir sur fond blanc


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire