Une autrice que je suis
avec attention depuis ses débuts, c’est Murièle Modély. Nous avons des points
communs (on nous confond parfois, j’en ai eu récemment des indices) : un
prénom, une année de naissance, la manie qu’a la société de nous caser dans la
catégorie « femme ». Et puis nous avons publié notre premier recueil
la même année (mais depuis, elle a pris de l’avance sur moi…).
Mais ce n’est pas pour
cela que je lis ses publications. Ou peut-être que si, un peu… Tout de même, la
raison première, c’est que j’aime ce qu’elle écrit. Et que, livre après livre,
elle me semble construire un univers fort et cohérent, et qui tient le coup.
Son dernier recueil paru
tout récemment, Tu écris des poèmes, confirme
assurément cette impression.
« Tu », dans le
livre, c’est « je » – cette fameuse je « autre », celle qui
écrit des poèmes, justement. « Tu » est peut-être le meilleur de « je » :
une je « obligé[e] d’inventer » pour exister, obligé de se dédoubler (« un
peu de noir sur beaucoup de blanc ») et même de se démultiplier, de se
décomposer – parties du corps, meuble, île, clavier d’ordinateur. C’est ce
dédoublement répété et créateur que la première partie du recueil explore. Corps
organique et corps textué dialoguent à tu et à toi. Entre vacillement au bord
« du gouffre sous tes pieds » et sensation « que le mystère
d’être / sur le poing du poème / est à portée de main », entre
« je » absentée et « tu » prétextée, quelque chose prend
place : le poème.
La troisième partie, « des
signes », peut être lue comme le prolongement de cette entreprise de
dédoublement. Ici, ce sont les signes de ponctuation du clavier qui constituent
à proprement parler les pré-textes
aux expériences de « tu », avec lesquelles ils se confondent. A chaque
signe son histoire, son « tu ».
La partie centrale en
revanche, « à la lettre » (texte qui avait déjà été publié à part, et
auquel la reprise dans ce recueil donne une nouvelle profondeur), apparaît
plutôt comme un contrepoint aux deux autres. « Je » y fait son retour.
Elle déclare même : « Je suis / une
fille unique ». Comme pour réfuter l’entreprise précédente de dédoublement
salvateur.
C’est qu’ici il est question avant tout
d'une faute qui rend presque impossible l’idée de dialogue. Une histoire de mort et de culpabilité – un événement
« unique » mais également sans fin : nié, dénoncé, répété, mythifié.
« à la lettre » explore une faute originelle qui déforme à jamais les
choses et les mots. Qui déforme le « je » aussi (jusque dans son
nom : « mrlmdl » ou
« uieeoey »). Ici, le double
de la création, c’est la destruction.
comme le poème, tu as un
trou au milieu de la phrase
un cratère d’où les mots
roulent, s’écoulent jusqu’aux chevilles
agrandissent jour après
jour la surface de l’île
d’un littoral friable
qui plonge dans la mer (…)
Murièle Modély, Tu écris des poèmes, éditions du Cygne,
2017
Marlene Dumas, For Whom the Bell Tolls |
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